Tant que je ne serai pas mort, personne ne pourra être vraiment certain de me connaître, de pouvoir donner un sens à mon action […] Mourir est donc absolument nécessaire parce que, tant que nous sommes en vie, nous manquons de sens." Ainsi s’exprimait, avec une lucidité approchant presque de la prophétie, Pier Paolo Pasolini, en 1967, dans l’Expérience hérétique. Tentant cependant, de son vivant, de porter son identité hors des zones d’ombre fatalement créées par une œuvre qui fut aussi riche et diversifiée que controversée et censurée, Pasolini entama dès 1966 à New York, révélé sans doute encore plus violemment à lui-même dans cette cité résolument violente, l’écriture d’un long poème autobiographique qui resta inachevé, en réponse probable à une interview imaginaire. Ce poème est publié en France, comme pour confirmer l’intuition pasolinienne, dix-neuf ans après sa mort, sous le titre Qui je suis.
Dans cette œuvre, Pasolini, qui ne cessa jamais de multiplier le Je au profit d’un Autre, et inversement, propose au lecteur que, tout comme le spectateur, il a voulu saisir à bras le corps une approche directe, poétique et politique de l’homme qu’il est, non plus caché derrière le masque qu’il fut forcé de se fabriquer pour parer aux coups bas des procès à répétition et des agressions fascistes, mais en essayant de révéler un visage : le sien, aussi contradictoire, passionnel et engagé que l’Italie d’alors qu’il dérangeait tant.
Ses évocations, d’une étonnante sincérité, font apparaître tour à tour autant d’autres visages qui viennent se superposer au sien et semblent poser les jalons d’une vie et d’une œuvre profondément liées.
Qui je suis nous parvient donc à titre posthume : est-il encore besoin de rappeler les circonstances tragiques de la mort de Pier Paolo Pasolini, assassiné le 1er novembre 1975 sur un terrain vague d’Ostie ? Cet événement n’ajoutera rien à l’intérêt de cette esquisse autobiographique livrée par un homme certainement plus vivant qu’aucun autre. Pasolini est mort. Vive Pasolini !
Qui je suis
Pier Paolo Pasolini
traduit de l’italien par J.-P. Milelli
Arléa
60 pages, 45 FF
Domaine étranger Je est un autre
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
Un livre
Je est un autre
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.