C’est à la page 179 que Ricardo Montserrat reconnaît avoir brouillé les pistes : Letranger dissimulait Tréguier -une bourgade des Côtes-d’Armor où l’auteur séjourna après avoir obtenu une bourse littéraire-, Port-Glas masquait la Roche Jaune, Tranger Trégor… Un décor donc bien réel, un petit bout de pays nommé le Trégorrois, délimité à l’est par la baie de Saint-Brieuc, à l’ouest par la baie de Morlaix - « un mauvais pays où les gens ne savent pas se dire qu’ils s’aiment ». Autrement dit un paysage de Bretagne, conforme aux stéréotypes les plus éculés, avec son lot familier de tempêtes, de bolées de cidre et de galettes trempées dans le lait ribot. La seule originalité demeure l’Ankou, une créature légendaire dont Anatole Le Braz (auteur de quelques romans) a révélé l’existence dans La Légende de la mort chez les Bretons armoricains : « L’Ankou est le moissonneur et le charretier de la Mort. C’est un grand diable maigre, le visage dissimulé sous un large chapeau. Il est debout sur un char grinçant et lourd où il empile sa récolte de cadavres. »
C’est dans ce mélange de réalité travestie et de légendes retrouvées que Ricardo Montserrat fait naître des amours incestueuses entre un frère et une sœur que la mort a failli surprendre dans leur enfance. Leur bienfaiteur et protecteur n’est autre que l’Ankou, qui en profite pour téléguider leur vie, les unir et les séparer quand bon lui semble, pour des raisons qui manquent parfois simplement de vraisemblance. Elle, Aziliz, n’attend de la vie que des joies modestes, discrètes et sincères ; lui, Jaouenn, n’aspire qu’à transfigurer le réel par la peinture, persuadé que l’art « n’a plus pour unique fonction que celle d’annoncer le suicide du monde » et qu’il « brisera les contraintes imposées par cette civilisation immorale » (le poncif est de taille !). Après avoir traversé « les mois noirs » de l’enfance, « les mois rouges » de l’adolescence, « les mois verts » de l’unique amour, « les mois bleus » de la solitude et de la Seconde Guerre mondiale -avec en prime la naissance d’une fille dont ils ne peuvent assumer publiquement la parenté-, ils se retrouvent au seuil de la mort, grâce à l’intercession du nautonier breton, pour mourir enlacés dans le souffle brûlant d’une ultime étreinte. L’émotion est alors à son comble…
Dans cette Bretagne aussi animée qu’une carte postale du début du siècle, le malheur vient de ce que l’Ankou surgit parfois sans crier gare, sans même faire grincer les essieux de sa charrette, comme pour mieux surprendre son monde et terrifier ses futures victimes -une équipée d’adolescents en fait d’ailleurs les frais dans une aventure particulièrement tragique. Mais un malheur n’arrive jamais seul… Dans ce roman, il naît surtout des innombrables lieux communs qui alourdissent de manière très récurrente la lecture. Dès le début la nature annonce la couleur : « Les oies sentaient (l’hiver) jusqu’au bout de leurs plumes, les canards l’avaient entendu chuchoter par les roseaux qui eux-mêmes le tenaient des saumons dorés. » Une mièvrerie douteuse qui contamine aussitôt le sentiment amoureux : « Je portais mon enfant au creux du ventre et son père au creux de l’épaule. Le monde était chaud et obscur comme un four. J’étais une miche de pain qui gonflait au feu de l’amour », avant d’irradier la création musicale d’un résistant : « Ma musique a la lourdeur des galets, la férocité des vagues, la cruauté des croix plantées aux carrefours »… La mort a beau rôder au-dehors, l’ensemble manque vraiment d’épaisseur, sinon d’intérêt.
Aziliz ou les Filleuls de l’Ankou
Ricardo Montserrat
L’Atalante (15 rue des Vieilles-Douves, 44 000 Nantes)
203 pages, 69 FF
Domaine français Clichés de Bretagne
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Didier Garcia
Dans son quatrième roman Ricardo Montserrat explore l’imaginaire breton pour une histoire sentimentale gentillete et banale. Sans éclat.
Un livre
Clichés de Bretagne
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.