Un joli volume rouge brique célèbre le centenaire de la naissance de Jacques Audiberti, le 25 mars 1899 à Antibes. On connaît déjà, et on les admire, sa poésie (Des tonnes de semence, Ange aux entrailles…), ses romans (L’Opéra du monde, Le Maître de Milan…) et son théâtre (Quoat-Quoat…). On s’est même pourléché d’un maître-livre, le « roman-journal » Dimanche m’attend. Avec Paris fut, c’est Audiberti journaliste qui émerge, cinquante ans après avoir semé ses observations dans la presse. Embauché au Petit Parisien en 1924, il opère d’abord dans le domaine des chiens écrasés et mène enfin entre 1937 et 1939 une série d’enquêtes parisiennes. Ces premiers articles signés de son nom (si l’on excepte les chroniques du Réveil d’Antibes datées de 1914), composent aujourd’hui la vivante matière de Paris fut.
Tandis que l’Europe géopolitique s’échauffe, Jacques Séraphin Marie aborde en 1937 la micro-histoire locale dont il fait avec enthousiasme la peinture fugace. Il œuvre sur le mode concret sans égarer le charme de sa prose ni fourvoyer ses images. D’ailleurs, il fouille des « venelles dont le bariolage et la courbure enchantent les esprits sensibles aux décors sans banalité ». Ses colonnes révèlent les « îlots insalubres,(ces) maisons obscures qui se referment sur les hommes comme des souricières », les artisans fiers mais discrets, les marchands de verdure tellement spécialisés, les Puces ou les animaux vendus sur les quais de Seine. C’est une ménagerie incroyable – on songe aux sonnets d’Ernest d’Hervilly (1839-1911) qui traquait les Bêtes à Paris, la marmotte, l’huître et le hanneton.
Poète-reporter, Audiberti se montre très attentif au langage, celui « robuste de la Halle aux cuirs », au vocabulaire spécialisé des corps de métier ou à cette « rondeur bien frappée de l’éloquence » de l’orfèvre. Jacques Audiberti entre à l’académie des Mange-bitume où Fargue, Desnos, Yonnet, Apollinaire et Huysmans festoient déjà. Ensemble, ils lui ouvrent les portes de la confrérie précieuse des poètes de Paris. Lui qui se définissait en 1943 dans une lettre à Marcel Arland comme le « lent et fidèle serviteur de cet obscur ordre du ciel, » Écrire prouve par là qu’il fut aussi un grand dans l’art de décrire.
Paris fut, de Jacques Audiberti
Éditions Claire Paulhan
(85-87, rue de Reuilly, 75 012 Paris)
197 pages, 140 FF
Histoire littéraire Essence de la ville
août 1999 | Le Matricule des Anges n°27
| par
Éric Dussert
Un livre
Essence de la ville
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°27
, août 1999.