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Domaine étranger Treize peurs et un jeu

mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63 | par Lucie Clair

Transcendant les époques, ce recueil de nouvelles d’Ivo Andric confirme la pérennité d’une plume élégante où la retenue et l’espace poétique vont de paire.

Contes au fil du temps

Sur la couverture des Contes au fil du temps s’affiche une photographie d’un chemin de rondins plats, en fait un escalier aux très larges degrés, serpentant entre des murailles de rochers. Au milieu de ce chemin, un peu à droite, excentrée, une feuille d’arbre tombée fait une tache discrète d’un brun léger. On peut être tenté, en prenant le livre, de balayer la couverture de la main, comme pour en chasser une miette de croissant ou une goutte de café. Or ce mouvement même, devant l’insistance de la couleur à rester, modifie la perception initiale. Les murs deviennent plus serrés, la sinuosité et la pente de l’escalier prennent une allure plus rude, et se révèle, dans une échappée, une ouverture ensoleillée. Les nouvelles posthumes d’Ivo Andric (décédé en 1975), ici choisies et traduites par Jean Descat en un tour de force de composition, produisent le même effet. Une lecture rapide, presque inattentive, laisserait penser qu’il s’agit d’une promenade, tant le ton y est posé et discret. Sur ce chemin presque rustique d’une langue sans apprêt, Ivo Andric a semé pourtant une légère touche de couleur qui arrête l’attention et rend à chaque conte une perspective inattendue.
Quatorze nouvelles des plus éclectiques construisent la trame sur laquelle s’inscrivent le fil rouge de la peur, les motifs qu’elle tisse dans une vie d’homme, les drames et les jeux qu’elle instaure : meurtres (« Le Tronc »), duplicité (« Les Voisins »), cynisme (« En Bateau »), abdications (« La Promenade »), culpabilité, espoirs (« Un miracle à Olovo »)… Peur de l’avenir (« Djordje Djordjevic »), de l’autre, de sa différence (« La Coupe », « Gens de Veletovo »), peur de la violence (« La Fenêtre »), peur fondamentale de la mort (« La Confession ») ou du dénuement (« Le Serpent »), ce thème repris en un kaléidoscope de temps, de personnages, de milieux et de circonstances officie comme la feuille de la couverture. Il n’apparaît pas directement, est rarement nommé immédiatement sauf pour quelques nouvelles, telles « Le Tapis », évoquant l’invasion des faubourgs de Bistrik par les Autrichiens en 1878, ou encore « Le Livre », récit d’une terreur enfantine et irréparable face à la détérioration d’un ouvrage emprunté à la bibliothèque du lycée par un élève peu fortuné et d’ailleurs ce n’est pas nécessaire. On se laisse progressivement aller d’un conte à l’autre, en suivant le sentier de ces variations, jusqu’à saisir l’ensemble du parcours, et redécouvrir le paysage dans sa véracité : « Cette peur-là n’a rien de commun avec les frayeurs et les craintes qui assaillent les êtres durant leur lutte pour survivre et pour posséder, pour avoir une vie meilleure, une situation, la gloire et la primauté, pour acquérir des biens, les garder et les accroître. Il s’agit d’une autre sorte de peur, de cette terreur difficile à expliquer que suscitent chez les créatures innocentes les phénomènes de ce monde. » Les épilogues s’ouvrent en grand angle, par une phrase qui laisse la place à l’indéterminé, donnant droit à une narration qui n’en a jamais fini avec le déroulé des boucles des destins. La lumière est au rendez-vous, mais de façon inattendue : la dernière nouvelle « Le Jeu », par son apparente frivolité, instaure avec brio la mise en abyme de toutes les autres.
Avec ce recueil ciselé nous est aussi offert de renouer avec la palette des talents d’un écrivain trop souvent ramené à la dimension symbolique et quasi visionnaire de son roman Un pont sur la Drina. Représentant de l’utopie yougoslave, fervent défenseur de la mixité des cultures, des langues, des religions, des racines, né croate, patriote bosniaque, et résidant en Serbie, Ivo Andric avait su donner la parole à chacune des communautés de son « petit pays d’entre les mondes », et « franchir comme en songe le seuil des siècles »*. Restait à découvrir plus avant la grâce qu’il déploie pour nous emmener au cœur des espaces intimes et des métissages des émotions qu’ils abritent.


Lucie Clair

* Discours du Banquet du Prix Nobel au City Hall de Stockholm, le 10 décembre 1961.

Contes au fil du temps
Ivo Andric
Traduit du serbe par Jean Descat
Le Serpent à plumes
232 pages, 19,90

Treize peurs et un jeu Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°63 , mai 2005.
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