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Poésie Le calcul du poète

mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81 | par Emmanuel Laugier

Leonardo Sinisgalli (1908-1981) rassembla trois de ses livres les plus aboutis, un travail allant vers une épure quasi géométrique et sensuelle.

J’ai vu les muses

C’est dans le deuxième livre, Champs élyséens (1937-1939), en référence à la terre de son enfance, la Basilicate, « l’ancienne Lucanie, (…) patrie d’Horace », « Sud non sicilien » de l’Italie que l’on trouve, en forme d’art poétique, le poème éponyme du volume lui-même : celui-ci donne toute l’ampleur, d’une ironie délicieuse, au sens que Sinisgalli entendait peut-être donner aux mots de la tribu : « Sur la colline,/ c’est sûr, j’ai vu les Muses/ Juchées dans le feuillage./ Oui, ce jour-là, j’ai vu les Muses/ Entre les feuilles larges des chênes,/ Qui mangeaient des glands et des baies./ J’ai vu des Muses sur un chêne/Séculaire, qui jacassaient. » (…). Bien qu’ornées d’un M majuscule, ces Muses ne sont que de « vieilles créatures », véritables crécelles, qui « jacassent », gracchiare s’appliquant autant aux corneilles qu’aux voix parfois criardes des vieilles femmes. Et à Sinisgalli d’ajouter à l’origine indéterminée des muses cette finale en forme de réouverture : « Le cœur émerveillé/ J’ai interrogé mon cœur émerveillé,/ J’ai dit à mon cœur la merveille. » Le métier d’écrire, véritable métier d’ignorance, est alors cette merveille ouverte sur le naturalmente cosa, un n’importe quoi… qui importe là plus que tout, qui ne dit pas l’indifférence méprisante pour les choses sans voix devant nous, mais la considération de tout ce qui existe, cyprès dans le vent, genoux crayeux d’un enfant, « éclat des phares/ Sur les massifs d’immortelles/ Ce soir ». Ou encore toutes circonstances que Le Chasseur indifférent (1939-1942), le troisième livre du volume, redéploie pour nous en une inéluctable expérience de la perte, jusqu’à la resserrer en deux vers, un peu comme chez le grand poète espagnol Miguel Hernández : « jamais tu ne pourras revenir/ Dans cet air déçu, sur le gravier/ qui luit comme du sel ».
Toute la manière de Sinisgalli, sa matière de mots, se contient dans la volonté de simplifier le poème, de l’éclairer par l’épure. En cela, il s’éloigne rapidement de ce qu’un critique malveillant appellera le courant hermétique de la poésie italienne. Si, en effet, Sinisgalli reproche à certains de ses aînés, dont Montale, de compliquer la forme du poème, de la rendre peut-être trop savante, obscure et référentielle, c’est qu’il souhaite, autant que Giorgio Caproni ou Mario Luzi, que le poème ne soit pas d’une obscurité repoussante. Qu’il garde trace, en somme, comme les « Roses du rose doux des maisons »« les maçons sur les toits/ Au grand air chantent, campés sur leurs hanches/ Leurs pieds blancs dociles sur les cimaises », des choses proches, visibles, qu’il s’ouvre aux paysages, aux hommes de peu, à la mémoire ancienne. Le poème devra suivre la courbe d’un cercle, se construire comme un parallélépipède, une forme simple, dans laquelle quelque chose de l’infini d’une expérience entre, suivant alors la juste surface d’un plan. Sans doute les études brillantes qu’il fit à la faculté des sciences de Rome, sa formation d’ingénieur, qui ne le coupèrent pas de sa passion de la littérature (il lit avec ferveur Blake, Valéry, Mallarmé) et de l’art (Sinisgalli sera un fin connaisseur et collectionneur, de Pollock à Fontana), y eurent-elles leur importance. De là vient cet alliage spécial entre la rigueur minimale d’un calcul, reversé dans la structure du poème, et le sensualisme sans effusion des expériences (mémoires, enfances, sensations, réflexions, etc.) que sa poésie, concrète en un sens, bouleverse. Son lyrisme en devient critique, il mêle une basse érotique, un peu à la façon elliptique de Sandro Penna, à l’enfance perdue, à la rigueur ensoleillé de la Lucanie.
Ainsi peut-il écrire, sobrement, dans les Premières poésies qui inaugurent J’ai vu les Muses : « Lourde à présent est la terre/ Au soleil, et fort le sexe », comme, plus loin, dans Champs élyséens, « Derrière les palmes, plus tard un éclair/ Vert (…) s’ouvre au claquement d’un fouet ». Parce que dans la flagrance de ses images, reste une douceur infinie, unique dans la poésie italienne.

J’ai vu
les Muses

Leonardo
Sinisgalli
Traduit de l’italien
et présenté par Jean-Yves Masson
Arfuyen
218 pages, 19

Le calcul du poète Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°81 , mars 2007.
LMDA papier n°81
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