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Domaine français Fricassée de fantasmes

octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87 | par Richard Blin

Décalé et humoristique, le nouveau roman de Michel Arrivé se faufile dans les arcanes de l’inconscient. Les dessous du désir d’écrire vus au kaléidoscope d’une drôle de lune de miel.

La Walkyrie et le professeur

Un roman à ne pas prendre au pied de la lettre, une manière de jouer - et de se jouer - de la force fantasmante de la fiction et des mystères insondables de la linguistique et de la psychanalyse, le tout sur fond de vieille Germanie et de contes de Grimm, tel apparaît le cinquième roman de Michel Arrivé - linguiste de son état ayant beaucoup écrit sur la langue et l’inconscient - et ayant manifestement pris un malin plaisir à manigancer, et à mettre en mots, les récits alternés que nous font de leur passé et de leur histoire d’amour, le professeur et la Walkyrie.
Récits croisés et inverses. L’un, celui du professeur, commençant par la fin - « Pourquoi ne l’ai-je pas étranglée ? Elle était vraiment en bonne position, la tête bien calée par le rocher au pied duquel elle était installée à côté de moi, pour pique-niquer. » -, l’autre débutant par l’apprentissage de l’écriture tel qu’il fut vécu par Kriemhild, sous la bienveillante tutelle de sa grand-mère, institutrice à la retraite. Nous sommes en Allemagne, le nazisme règne mais la petite fille trouve dans le plaisir pris à dessiner les lettres de l’alphabet gothique, puis dans l’écriture de petits contes, de quoi être heureuse, en dépit d’une mère qui lui aurait préféré un garçon dont le père avait déjà choisi le prénom, Siegfried - vœu que l’enfant, devenue femme, exaucera, en prénommant Siegfried, son propre fils, du nom de celui qui, dans la Chanson des Nibelungen, est l’époux de Kriemhild - grande figure de cette épopée, à côté de Brunhild, la fière et forte guerrière, seule digne des walkyries de la mythologie germanique. C’est que tout, dans ce roman, n’est qu’échos, symétries et jeux de miroir, prétexte à illustrer, non sans un souffle de fantaisie et un rien de bouffonnerie, les différentes étapes de la maturation libidinale et les sources plus ou moins secrètes qui travaillent l’écriture.
Car elle et lui rêvaient de devenir écrivain. Lui pour faire plaisir à sa mère - « Elle n’avait qu’une ambition pour moi : me voir devenir écrivain. C’était mon nom, disait-elle en souriant : Jacques Lécrivain sera nécessairement écrivain ». Elle, parce qu’elle voulait connaître la notoriété des frères Grimm, un rêve brutalement brisé par la volonté d’un père estimant que « les sujets traités n’étaient pas conformes aux directives du Führer en matière littéraire ». Admise à l’École Nationale des Jeunes Filles allemandes d’élite, elle ne pourra que constater la disparition du don d’écrire qui était le sien, un blocage qui s’accompagne des premiers signes d’une constipation chronique. « Mon anus devenait le lieu de toutes mes pensées : il était à la fois l’objet et l’agent de toute ma réflexion. »
C’est là que Michel Arrivé et son roman sont passionnants. Dans la façon qu’ils ont de poser la question de l’écriture et des rapports qu’elle entretient avec le corps et la sexualité, avec l’organisation pulsionnelle, l’inceste, le nom du père, l’image aimée ou haïe des parents, et, derrière la mère, tout le rapport à la langue maternelle. Pour ce faire, il nous installe en tiers, nous place dans la position de celui qui écoute, assiste à la remontée au jour d’événements susceptibles d’avoir déclenché tel type de comportement, de préférences ou de désirs. À travers ce que Kriemhild nous confie de son passé - et à travers ce qui rend horriblement jaloux son amant - se donnent à voir quelques nœuds de l’inextricable écheveau des motivations. De la terrifiante découverte de la sexualité à ses rêves récurrents - comme celui où, punie, elle doit parcourir la ville sur une charrette où elle est exposée nue, bras et jambes écartés, et fouettée -, ce sont quelques-unes des permutations, des inversions ou des recompositions de la grammaire de l’inconscient, que revisite Michel Arrivé, tout en laissant deviner le rôle qu’elles peuvent jouer dans nos choix existentiels et esthétiques. C’est ainsi que la petite fille allemande épousera son premier professeur de français, un agrégé de grammaire, susceptible, pensait-elle, de l’aider dans ses travaux sur les mots-valises, ces « enfants de l’amour » dont, « nouvelle sage-femme », elle explore « les mystères de la procréation, de la gestation et de l’accouchement ». Ainsi aussi qu’elle fascinera cet autre professeur à la Faculté de Pharmacie, expert en mycologie et romancier, à qui elle prend plaisir à raconter, avec mille détails, ses fréquentes visites chez « ses gynécos », ou ses consultations d’entérologues, récits se terminant invariablement par de farouches étreintes, dans le premier cas, (seuls moments où « elle oubliait de faire des marionnettes avec ses mains » pendant l’amour…), et par la « cérémonie de la sodomisation », dans le second cas, sorte de « punition » qu’elle disait s’infligeait.
Tout l’art de Michel Arrivé est de traiter ce qui pourrait paraître scabreux, avec l’ironie comique propre aux effets d’incongruité qui découle sans cesse de la confrontation entre savoirs savants et pure trivialité. Plaisir de fantasmer sur du fantasmatique, de pénétrer les arcanes de malheurs qui ne sont souvent que des bonheurs interdits, plaisir aussi du manipulateur de marionnettes, qui connaîtrait toutes les subtilités de la cruelle mécanique de l’inconscient, et en jouerait pour mettre à nu quelques-uns de ses secrets de Polichinelle.

La Walkyrie
et le professeur

Michel Arrivé
Champ Vallon
192 pages, 16

Fricassée de fantasmes Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°87 , octobre 2007.
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