Effaceur de frontières autant qu’esprit libre assumant courageusement ses prises de position contre l’intolérance religieuse, Ali Ahmad Saïd Esber, plus connu sous le nom d’Adonis, (né en 1930, en Syrie), accompagne magnifiquement dans son Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme, une expérience extrême, celle d’Agar, la servante égyptienne à qui Sara (l’épouse d’Abraham) offrit sa place dans le lit conjugal afin d’assurer la descendance du grand patriarche. Un enfant, Ismaël, le futur père du peuple arabe, naît bientôt. Mais par faveur divine, Sara conçoit à son tour et donne naissance à Isaac. Un conflit ne tarde pas à opposer la servante concubine à l’épouse. Humiliée, excisée, Agar est alors congédiée par Abraham. En un poème à plusieurs voix, c’est l’exil puis la révolte de cette « mort-vivante » et de son enfant qu’accueille Adonis. Regardant l’insupportable en face, elle erre dans le désert, confrontant sa raison à ce qui la dépasse, refusant le préétabli, s’interrogeant sur la Révélation et se raccrochant à une seule certitude : elle demeure femme. « J’ai des désirs/ et j’aspire au plaisir ». Alors, « Qu’il périsse son paradis éternellement ajourné ! » Ce feu intérieur, c’est justement ce que toutes les religions révélées rejettent et ce contre quoi elle se révolte. « Le corps n’est que l’éclat de l’invisible éternité ». Transgressant la tradition, Agar incarne une évidence : c’est l’être humain qui est le centre de l’univers et non Dieu.
Invitant à repenser la question de l’origine, ce livre est l’hommage d’un poète à celle qui « est hors texte et n’habite même pas le corps du livre fondateur » (H. Abdelouahed). Un acte de foi en la poésie, en son pouvoir de création car, Adonis, en rebattant les cartes du Commencement, retouche la Genèse et réinvente le temps puisqu’en faisant mourir l’enfant et sa mère, il ouvre la perspective d’une ère sans enfants d’Ismaël.
Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme d’Adonis - Traduit de l’arabe par Houria Abdelouahed, Mercure de France, 152 pages, 15 €
Poésie Déchirer le commencement
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Richard Blin
Un livre
Déchirer le commencement
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.