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Domaine français La voix de la chair

janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169 | par Richard Blin

De vérités abruptes en instants fondateurs, c’est le point d’ajustement de l’écriture et de la géométrie amoureuse que traque Gwenaëlle Aubry. Fascinant.

On entre dans le mythe comme on entre dans le risque. En s’envoûtant soi-même. « Pour entrer dans le mythe, je suis passée par la bouche, le sexe, la tête d’un homme. [Perséphone] il la connaissait bien, il m’a offert son portrait. » Ce détail – pour qui a de la mémoire – nous renvoie au tout premier livre de Gwenaëlle Aubry, Le Diable détacheur (1999, réed. Mercure de France, 2012), et à l’histoire de la passion qu’il raconte, celle d’une jeune fille de 18 ans pour un homme de 43 ans qu’elle aima à cœur ouvert, à corps offert et auprès de qui elle connut l’Enfer et le Ciel. Un sacre et un désastre, comme il y en aura d’autres – « car ça recommence, petite, tu m’entends, ça recommence » – qu’elle revisite au prisme de la double figure de Korè-Perséphone, la jeune fille qui devint reine des Enfers et dont l’histoire condense emblématiquement celle de ces jeunes filles pour qui la vie, un jour, se résume tout entière en l’attente du miracle.
Se croyant immortelles, elles veulent « vivre à bout de souffle, en cavale l’âme à cru », guettant « l’imminence, la faille, la foudre », l’instant « où tout glisse, l’instant-précipice », celui qui répète le moment où la fille de Déméter se penchant pour cueillir un narcisse, vit la terre s’ouvrir pour laisser place au char du roi des Ombres, qui sans lâcher bride, la saisit par le milieu du corps, l’enleva et reprit le chemin des Enfers. Korè raptée malgré ses cris, « où (j’aime à le croire, je m’en souviens) l’effroi se mêlait de triomphe ». Korè emmenée dans un autre monde, cueillie par Hadès qui la rebaptise Perséphone. Chaque syllabe déposée «  une à une sur mes lèvres, sur mon front, une à une sur ma nuque et au creux de mes cuisses, et une à une elles composent un nom ». L’autre, « mon nom commun, mon nom d’avant, on pourra toujours le crier et même ma mère à pleins poumons par toute la terre, en deuil le supplier ou l’invoquer rageur, plus jamais je n’y répondrai ».
Avec le corps de Korè, c’est la chair, le sexe qui pénètre dans le royaume des morts. Hadès est « le point où se condensent tous mes désirs, toutes mes jouissances, le cœur où le monde palpite et s’effondre ». Elle a beau savoir qu’à l’écouter elle se perd, elle l’écoute et tombe plus loin encore, « tête la première dans son enfer privé ».
Sa mère, désespérée, peut la chercher, jurer que la terre restera stérile jusqu’à ce que sa fille lui soit rendue, rien n’y fait. Jusqu’au jour où Korè-Perséphone dut consentir à se partager entre le monde invisible et le monde visible, un jugement qui, la condamnant à apparaître et disparaître, dit l’essence de l’amour, l’entremêlement de ténèbres et de lumière qu’il est. C’est ce dont témoigne ce livre, et toutes les voix-sœurs qui parlent la même langue, « cette langue très ancienne pulsée de perte et de désir ». Des voix dont Gwenaëlle Aubry se fait le porte-parole : « Nous avons un règne et un nom (…). Des hommes sont venus à nous attirés par notre éclat. Ils ont ouvert nos livres et nous à eux nos cuisses ». Mais ce qu’ils ignorent c’est que « nous voulons tomber, pas juste céder, mais tomber, nous cherchons parmi eux celui qui nous mettra à terre (…), nous voulons ce ravage, ce saccage (…), nous voulons être matière vivante (…), rien d’autre entre vos bras qu’une immense vague de chair, le vide palpitant d’une étoile effondrée ».
C’est autour du vertige de ce point d’abîme et de cette ivresse de lucidité, que s’enroule le livre. Quelque chose d’aussi mystérieux que le pouvoir hypnotique du désir, habite ces pages comme resserrées autour d’une chambre secrète abritant l’écho d’une confession chiffrée. Livre qui retraverse le mythe de Perséphone pour dire combien il est toujours actif chaque fois qu’il s’agit d’inventer son destin, de se projeter dans le vide éblouissant de la dépendance extatique, de l’interdit et du jouir embrassés. De dire aussi que la littérature est avant tout affaire de jouissance et de plaisir, qu’on écrit « en écho à la souveraineté de certains instants vitaux » pour perpétuer leur intensité. « Je ne sais pas d’autre façon d’en revenir, d’en sortir sans trahir ».
Un point de vue et une façon de vivre qui furent ceux de Sylvia Plath dont G. Aubry brosse le portrait dans Lazare mon amour. Une sœur de Perséphone, qui voulait être tout et rien à la fois. Une qui, « revenue d’entre les morts », vécut entièrement du côté du désir, « et tant pis si ça ligote aussi et si ça réduit en charpie ». Qui publia non pour se délivrer mais pour se livrer pieds et poings liés. « Écrire, c’est se tenir au bord de cette béance-là : l’appétit des autres, leur puissance de dévoration ». Qui voulut tout : « la fusion et l’autarcie, dire « je » par les hommes et se perdre en eux ». Jusqu’à plus soif, jusqu’à ouvrir le gaz, à 30 ans.
Richard Blin

GWÉNAËLLE AUBRY
PERSÉPHONE 2014, Mercure de France, 120 pages, 14
Et LAZARE MON AMOUR, L’Iconoclaste, 80 pages, 15

La voix de la chair Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°169 , janvier 2016.
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