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Intemporels Grains de folie

janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169 | par Didier Garcia

Dans un roman luxuriant et rabelaisien, John Barth (né en 1930) présente les tribulations d’un poète au Maryland.

Le Courtier en tabac

Le Courtier en tabac est de ces livres qui en imposent d’abord par leur poids, comme 2666 de Bolaño, JR de William Gaddis, ou Le Grand Roman de Ladislav Klíma… De ces sommes romanesques qui impressionnent par leur épaisseur.
Mais le livre une fois ouvert, c’est par la matière qu’ici il surprend. Qu’est-ce qu’un lecteur, aussi bienveillant soit-il à l’égard de l’auteur, peut raisonnablement attendre d’un roman de près de 800 pages qui commence par la description d’un certain Ebenezer Cooke, donné pour un authentique poète anglais de la fin du XVIIe siècle, dont le physique semble tenir à la fois du héron et du pantin désarticulé ? Pour le dire franchement, on hésite à s’engager, d’autant que l’on sent vite l’auteur capable d’à peu près tout.
Ceux qui tenteront d’y aller voir de plus près ne le regretteront pas. Leur curiosité y sera récompensée au-delà de ce qu’ils pouvaient espérer. Ils y découvriront l’incroyable voyage d’Ebenezer Cooke, élevé au rang de « Poète et Lauréat de la Province du Maryland », où son père a eu la mauvaise idée de lui léguer une plantation de tabac.
C’est en poète ayant fait vœu de chasteté qu’il embarque un beau jour à Plymouth pour voguer vers le Nouveau Monde, avec pour objectif littéraire de composer La Marylandiade, autrement dit « une épopée surpassant en épique toutes les épopées ». Mais avant que de pouvoir librement taquiner la muse, cette sorte de Don Quichotte va devoir vivre des aventures dignes de l’Odyssée d’Homère : être fait prisonnier par des pirates, puis jeté par-dessus bord, échouer sur une île, laquelle s’avérera être la terre des Piscataways, jadis gouvernée par Quassapelagh, le célèbre roi Anacostin, puis conquise par les Anglais et devenue le Maryland (il est des hasards romanesques qui relèvent du miracle)… Heureusement pour nous, il lui en faut beaucoup plus pour lui passer le désir de poétiser. Lorsqu’il se retrouve enfin à quelques mètres de la propriété paternelle, Ebenezer (prénom issu de mots hébreux signifiant « pierre de secours ») ne manque pas de saluer poétiquement sa nouvelle patrie : « Riez, ô monts gracieux et vous, bois couronnés ! Votre bon chantre, le lauréat, est venu publier votre gloire ! » (et nous n’en sommes pas encore à la moitié du roman ; il lui reste même à épouser « une porchère, une opiomane, et une prostituée de la plus basse sorte »). Entre deux disgrâces, il s’autorise malgré tout à composer des rimes « hudibrastiques », rimes riches à l’harmonie souvent douteuse (voiture pouvant ainsi rimer avec Turc). Mais au final, le lauréat aura honoré son contrat et écrit Le Courtier en tabac, long poème d’un millier de vers dans lequel il relate son voyage au Maryland, et qui se veut être « une satire dans laquelle sont décrits les Lois, Gouvernements, Tribunaux et Constitutions de ce Pays ; ainsi que les Édifices, Fêtes, Caprices, Divertissements et Ivrognerie des Habitants de ce Havre de l’Amérique ».
Le Courtier en tabac
s’ingénie à multiplier les personnages ainsi que les histoires, qui s’enchâssent les unes dans les autres, chacun pensant avoir voix au chapitre et pouvoir y aller de son petit récit (« il y a tant à dire » reconnaît un personnage, comme pour s’excuser). Impossible donc d’en résumer les innombrables péripéties, d’autant que le lecteur passera ici d’une lettre à un récit ou à un poème, et là d’un dialogue aux pages retrouvées d’on ne sait trop quel journal de voyage rédigé en ancien français…
Dans cette parodie de roman picaresque publié en 1960, les apparences sont souvent trompeuses (jusqu’à la fausse langue de l’époque dont use et abuse John Barth) : nous ignorons qui est qui, chacun pouvant usurper l’identité d’un autre et avancer masqué (détail qui n’échappe pas à la candide sagacité d’Ebenezer : « Personne n’est ce pour quoi ou qui je le prends »).
Le tour de force de John Barth est d’avoir su réaliser une synthèse improbable entre les digressions d’un Laurence Sterne, le goût des situations loufoques d’un Cervantès et la truculence d’un Rabelais, dont il imite d’ailleurs les titres de chapitre à rallonge de Gargantua (« 14. Où le lauréat assiste à deux assassinats d’identité, une piraterie, une tentative de viol, un acte de mutinerie, un meurtre, et un attrayant débat entre capitaines, le tout dans l’espace de quelques pages »). Les occasions de sourire (et de rire) ne manquent donc pas (qu’il s’agisse de situations romanesques franchement grotesques, de la vulgarité de certains personnages ou de la naïveté du protagoniste), et le lecteur ira de surprise en surprise jusqu’à la dernière page du roman, dont il ressortira proprement hébété, persuadé d’avoir été roulé dans la farine, complètement abasourdi par cette folie narrative qui fait de la démesure un genre littéraire.
Didier Garcia

LE COURTIER EN TABAC DE JOHN BARTH
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro,
Cambourakis, 800 pages, 28

Grains de folie Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°169 , janvier 2016.
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