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Poésie Le goût du néant

mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171 | par Emmanuelle Rodrigues

Quasiment inédite en français, l’œuvre d’Antonia Pozzi révèle une artiste dont la poésie diariste témoigne d’une stupéfiante créativité.

Une « bourgeoise – artiste tiraillée par l’amour, l’amitié et la quête du langage », tel est le portrait que le traducteur Thierry Gillybœuf dépeint de la poétesse italienne, née en 1912, et dont la famille dissimula en 1938 le suicide jugé scandaleux. Fille de l’un des avocats du Duce, Roberto Pozzi, et de Lina Cavagna Sangiuliani, aristocrate lombarde, Antonia se passionne très tôt pour l’art et la littérature, fait des études de philologie, et en 1935, soutient une thèse sur Flaubert. Une autre de ses passions, l’alpinisme, lui inspire « une voie poétique originale, chargée de force et d’énergie ». Tombée amoureuse de son professeur de grec et de latin, Antonio Maria Cervi, elle enfreint l’interdiction paternelle de poursuivre toute relation avec cet amant de seize ans son aîné, qui malgré tout y mettra terme en 1934. Quatre ans plus tard, à l’âge de 26 ans, après avoir avalé des barbituriques, elle est retrouvée dans un pré, avant de décéder à la polyclinique de Pasturo. C’est dans ce village, l’un de ses lieux de prédilection, qu’Antonia est enterrée.
Pour faire face à sa souffrance, et contrer également ce qu’elle pointe comme « notre inanité convulsive », Antonia Pozzi dut bien souvent recourir à l’écriture. Le journal de bord de cette âme solitaire nous dévoile en effet sa quête d’un ailleurs, fût-il la tentative illusoire d’échapper à la vacuité de l’existence humaine. Antonia Pozzi tend à transformer en allégorie ce qu’elle voit, perçoit et ressent avec une acuité étonnante. Faire résonner l’événement même le plus accidentel, et lui donner l’ampleur d’une révélation, telle est la visée de nombre de ces « poémicules recopiés / sur un cahier d’école » : aussi précises que remarquables, ces peintures donnent à voir des scènes du quotidien saisies sur le vif, qu’il s’agisse des pêcheurs de Sorrente, ou des paysans de la campagne lombarde. Les paysages de montagne souvent évoqués, mais aussi bien les lieux visités dans toute l’Italie sont autant d’occasions d’introspection et d’extase. La nature, les saisons témoignent de la variété de ses sentiments : attente, angoisse, sensation du beau, solitude, « vie qui se glace », désespoir, comparé à une « fleur au-dessus de l’obscur / giron de la terre ». Mais surtout, nous voici introduits dans un dialogue intérieur. À son âme qu’elle apostrophe, elle adresse ces mots : « Âme, sois comme le pin, / qui tout l’hiver déploie / dans la blanche voûte de l’air / ses bras en fleurs / et ne cède pas, ne cède pas /(…) Âme, sois comme la montagne ». Ou encore ces vers de Cri : « Ne pas avoir de Dieu / ne pas avoir de tombe / ne rien avoir de fixe / mais juste des choses vives qui fuient- / être sans passé / être sans futur / et s’aveugler dans le néant- à l’aide- / à cause du malheur / qui ne connaît pas de fin- ». Ce cri exprime donc par la négative le cap à tenir. La pesanteur par laquelle tout son être suffoque fait écho au malaise, auquel la sublimation par l’écriture ne remédie qu’en partie. En 1933, elle écrit ainsi : « Ô vie, / pourquoi / me prends-tu encore dans / ton voyage, / pourquoi / traînes-tu / mon lourd sommeil ? » Du cœur, ce navire, « chargé d’innombrables choses / abîmées / de fruits étranges / gâtés », la migration est relatée dans Le Port, et ainsi personnifié, c’est à une sorte de transformation complète que le moi aspire. Toujours de l’année 1933, Début de la mort indique pourtant : « Mon âme- / et tu es rentrée / sur la route du mourir. » Rapprochant les destins d’Antonia Pozzi et de Sylvia Plath, le traducteur souligne que pour l’une et l’autre « l’absence d’écho et de reconnaissance qu’elles auront trouvées les conduira toutes deux au même choix sacrificiel. » En perdition, Antonia Pozzi n’aura cessé de lancer ses messages de désespoir. Mais son odyssée ne lui aura réservé nulle Ithaque dont reprendre le chemin.
Emmanuelle Rodrigues

LA VIE RÊVÉE Journal de poésie 1929-1933
D’Antonia Pozzi
Arfyuen, 320 pages, 20

Le goût du néant Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°171 , mars 2016.
LMDA papier n°171
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