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Égarés, oubliés Être, dit-elle…

mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183 | par Éric Dussert

Pour sortir de son rôle de femme au foyer, Jocelyne d’Agostino (1943-2007) tenta une issue via la porte Littérature.

Au moment où Annie Ernaux faisait ses débuts, nombreuses étaient les aspirantes romancières tentées par les promesses de la littérature. Du prestige social de la littérature s’entend, puisque les ors n’ont jamais été qu’exceptionnellement au rendez-vous. Depuis la guerre, le niveau d’éducation des populations occidentales avait nettement progressé et le monde de l’édition, de traditionnel qu’il était avec ses magasiniers en blouse grise et ses armées de correcteurs, versait lentement au « marché ». Et un marché qui s’ouvre, on l’a vu encore récemment avec l’informatique, c’est un terrible appel d’air : l’industrialisation de la diffusion et la financiarisation des maisons d’édition vendues à la bourse généraient la création de nouvelles marques, aussi mécaniquement que la nécessité crée de nouveaux organes. En conséquence, il allait falloir au monde de l’édition beaucoup plus de manuscrits pour produire plus de livres, donc plus d’auteurs. Hommes et femmes confondus bien sûr. Et au moment où Annie Ernaux faisait ses premières armes, elle n’était pas la seule.
Sur ses talons, une trentenaire née en 1943, Jocelyne d’Agostino, proposait un roman à Jean-Edern Hallier qui l’accepta au catalogue de ses Éditions Libres Hallier en 1978. Le livre s’intitulait L’Enfant-dos et s’installait sur la queue de comète durassienne, joignant langue orale et vive, enfantillages, phrases blanches et ce haché qui va faire florès et serait porteur d’un sens profond caché dans les replis du silence et du non-dit. Voire. C’est ce qui va devenir dans les années suivantes un tic proliférant chez les auteurs français sans allant – qui auront en outre la béquille des mauvaises traductions de Raymond Carver pour s’imaginer jouer en modernes. La bouillante Jocelyne d’Agostino, elle, joue franco et démarre sa carrière littéraire sur les chapeaux de roue : « La première fois que je me suis montrée nue à un homme, il a clamé partout que ma poitrine tombait : il ne connaissait pas les seins américains. »
« Maintenant ils tombent maintenant. »
« Tout fout le camp. Je vieillis. J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Moi aussi je me souviens. Vie de rien. Vie de chien. Même pas. Qu’est-ce qu’une vie de femme ? Femme à tout faire. Femme à donner. Amour et vies. Trois petits tours et puis s’en vont. Je vais, tu vas, elle vient. Mille petits pas. Pas inutiles. Pas de même. À toi l’épouse, à moi la mère. »
« Et la vieillerie s’installe. Insidieuse. Sournoise. Elle bouffe tout : l’enthousiasme, les nerfs, le sommeil. C’est un aimant à ras de terre qui attire tout vers lui, la peau, les chairs ; les cheveux qui se détachent, irrémédiablement perdus : pelotes de jeunesse légères comme la plume. Mes cellules me quittent pour boucher la baignoire. »
Suit le récit d’une enfance sentimentalement troublée entre une mère ambitieuse, indifférente, un peu barrée, et un père coiffeur. Sans compter la belle-mère, la grand-mère et le frusquin de la vie de tout le monde. L’école, le pensionnat, le rêve de devenir dactylo médicale. On constate que la note biographique de la quatrième de couverture mêle l’humilité à la candeur : « Elle est elle et elle n’est personne. Une ménagère. Mariée. Deux enfants. Pas de métier. Pas de diplôme. Juste soudain l’envie d’écrire. »
Tout semble reposer sur une évidence sociologique : mariée à un homme riche, sans profession, Jocelyne d’Agostino est une femme au foyer qui tente de se désennuyer en abordant une vie excitante. Dans le Dictionnaire littéraire des femmes de langue française de Christiane P. Makward et de Madeleine Cottenet-Hage (Karthala), dédié « aux illettrées d’hier et de demain » en 1996, Jocelyne d’Agostino a droit à une ligne pour son Enfant-dos. Dans le Dictionnaire universel des créatrices des éditions des Femmes en 2013, c’est plié : plus une trace. Son deuxième roman, Une femme si sage (Denoël, 1985) n’a pas eu de succès. Elle a pourtant eu des audaces : le sexe est un « périscope aveugle », plus loin elle évoque son amant tout en célébrant la relation qu’elle entretient avec son époux. (Depuis on raconte qu’elle aurait déniaisé un comédien célèbre nommé Pierre A., qui dîne les soirs de présidentielle à la Coupole).
Ses problématiques sont amour/amant, grossesse/enfants, fantasme/réalité. Sa conclusion est délicieusement nostalgique : « C’est quoi, dis, l’amour qu’on n’a pas eu ensemble ? » Son style est caractéristique : de l’immédiateté fringante et vive, de la « vérité intime » – cette « intimité » dont certains critiques font la clé absolue de toute analyse et qui ne porte, souvent, que la part commune de ce chacun éprouve sans avoir l’outrecuidance de la badigeonner à la face du monde : « Alors je venais chez toi par ton métro bizarre ; à ta porte tu débloquais les serrures. Nous avons bu du café le dernier jour, tu avais même acheté des petits fours. Dans mes mots une femme pleurait, disait qu’elle était morte hier. Tu as essuyé mes larmes avec un bout de mouchoir de papier, tu as baisé mes mains baignées de moiteur. Tu ne voulais plus que je te raconte ma morte inachevée. »
« Un lit bleu attendait. Il nous vit nus très vite. Des lèvres s’étaient cherchées, deux bouches se trouvaient. Deux corps s’aimaient, ventres soudés. (…) Une femme. Un homme. Un lit. Des draps ouverts et des corps dévêtus. Puis des phrases de rupture… Une histoire très banale, le tout-venant des amants. Mais justement… »
Avec le temps, Jocelyne d’Agostino collabore encore à deux numéros d’une revue sonore intitulée Voix E/S (1982 et 1984), puis elle fait des études de psychologie sur le tard. Mais elle disparaît à l’âge de 64 ans. Sur sa tombe du cimetière de Boulogne-Billancourt, on peut lire ceci : « Jocelyne D’Agostino-Baumann/ Écrivain 1943-2007 » C’est donc fait. Elle l’est. C’est marqué.

Éric Dussert

Être, dit-elle… Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°183 , mai 2017.
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