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Histoire littéraire Ils étaient à eux seuls des océans

février 2018 | Le Matricule des Anges n°190 | par Richard Blin

Le nouveau livre de Stéphane Lambert s’attache à l’amitié passionnelle qui lia un temps Melville et Hawthorne.

Fraternelle mélancolie : Melville-Hawthorne, une passion

Ce qui se dérobe, voilà ce qui fascine dans l’art et la littérature. Qui se dérobe mais que l’on peut deviner à travers ce qui converge avec ce que l’on porte en soi sans pouvoir l’exprimer, et sans souvent le connaître. De cette expérience, Stéphane Lambert – né en 1974 à Bruxelles – a fait le terreau de ses livres sur Monet, Rothko, Nicolas de Staël. Aujourd’hui, en s’intéressant à la rencontre entre Herman Melville et Nathaniel Hawthorne et à leur amitié aussi littéraire que passionnelle, ce sont les liens entre la création, la nécessité intérieure et les affects qu’il interroge à sa façon, c’est-à-dire en les faisant entrer en résonance avec son propre vécu et sa propre façon d’appréhender le monde et l’écriture.

Quand ils se rencontrent, en août 1850, Hawthorne a 46 ans. Marié sur le tard, il vient de s’installer dans les Berkshires, un coin sauvage de la Nouvelle-Angleterre, après avoir vécu pendant près de quinze ans, reclus, à Salem, auprès de sa mère et de sa sœur. Venant après la publication de ses Mousses du vieux presbytère et de ses Contes racontés deux fois, le succès de La Lettre écarlate en a fait la figure de proue de la très jeune littérature américaine. Écrivain saturnien et secret, mais fort d’« une aura particulière où se mêlaient douceur et âpreté », l’homme est plutôt charismatique. Rien à voir avec Melville qui, très jeune, s’était jeté avec fougue sur les mers du monde. Lui a 31 ans, et après le vif succès de Taïpi et d’Omoo – romans où il conte ses aventures polynésiennes, celles qui lui valurent d’être surnommé « l’homme qui a vécu parmi les cannibales » – il a voulu montrer avec Mardi qu’il était un écrivain véritable, un poète, un penseur aimant les spéculations sur le temps et l’éternité, l’infini et le fini, la matière et l’esprit. Un roman qui connaîtra un échec retentissant mais qui, paradoxalement, le confortera dans sa volonté de ne plus divertir, mais d’écrire au contraire pour atteindre ce lieu de l’écrit où l’on s’adresse à ce que l’homme a de plus élémentaire, pour « sentir battre ce qu’il y a de plus secret, de plus insoutenable dans l’être ». Un vœu qu’il a commencé à mettre en œuvre en se lançant dans l’écriture d’une étrange histoire de chasse à la baleine.

Deux hommes qu’apparemment tout sépare mais qu’en réalité tout rapproche. À commencer par tout ce qui, chez Hawthorne, va éclairer Melville sur ce qu’il veut exprimer. En lui, il salue l’homme qui sait voir « l’inscrutable malveillance de l’univers », la présence des ténèbres à l’œuvre dans la noirceur d’une époque, d’une âme, d’un acte. Dans cette approche de la face obscure de l’homme, Melville se reconnaît : il y voit le même fond sombre que celui qui l’habite, y perçoit le même sentiment d’exil à l’intérieur du monde. En découvrant cette âme « dont il sentait partout dans les textes la sororité », il est certain d’avoir trouvé l’Ami, celui dont il va bientôt se proclamer envoûté, ensorcelé, et à qui il dédiera Moby Dick, « en hommage d’admiration pour son génie ». Une connivence, une infinie fraternité de sentiments qui, chez Melville, prit vite la forme d’une ferveur proche de « l’émerveillement amoureux ».
À la nature ambivalente de cette relation, à cette expérience hautement sensuelle de la littérature, Stéphane Lambert, par empathie et par expérience, donne chair et vie. Parce qu’elle le renvoie à sa propre histoire, il nous en fait partager l’idéal, les tourments, les non-dits et tout ce qui l’innerve secrètement. Il s’interroge : « Où va se loger l’amour lorsqu’il ne parvient pas à s’exprimer ? » Écrire, peut-il être une manière d’aimer ? Comment cet amour vécu intérieurement a-t-il pu nourrir la parole de Melville ? En Hawthorne il reconnaît celui qui n’ose pas vivre et va se recroqueviller dans la création là où Melville, plus aventureux, se jette dans la matière du vivant. L’impact des seize mois où ils se fréquentèrent, Lambert en perçoit les traces et l’écho dans Moby Dick, dans les relations entre les différents personnages et dans leur manière de réagir face aux blessures du réel. Un grand livre sur l’homme où est donnée voix à ce monde d’intuitions primitives et profondes qui agite les êtres derrière les identités de façade.
Publié fin 1851, au moment où Hawthorne quitte les Berkshires, Moby Dick sera un échec total. Melville a 32 ans, et le reste de sa vie – il vivra jusqu’à 72 ans – ne sera qu’une succession de revers assortie d’un long enlisement dans l’oubli. Quant à Hawthorne, il allait mourir en 1864, à 59 ans.

Richard Blin

Fraternelle mélancolie, de Stéphane Lambert
Arléa, 224 pages, 19

Ils étaient à eux seuls des océans Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°190 , février 2018.
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