Emmanuel Ruben, le sentiment géographique
Depuis son premier livre publié en 2010, Emmanuel Ruben n’a cessé d’écrire : romans, essais récits, textes hybrides. Neuf livres en à peine neuf ans. Et de dessiner. Et de peindre. Et de voyager. Boulimique de la vie, il publie en ce mois de mars un livre fleuve, un de ces ouvrages susceptibles de faire date : Sur la route du Danube a été écrit après avoir passé quarante-huit jours sur un vélo à remonter le fleuve de son embouchure à sa source. Un livre musclé donc, qui donne envie d’aller à son tour se confronter à la physique des paysages. L’homme dirige depuis plus d’un an la maison Julien Gracq à Mauges-sur-Loire et vit non loin à Ingrandes, une maison dont il prétend qu’elle donne sur la Loire. On avait donc décidé de nous y rendre à vélo, afin de vérifier sur place la beauté de la Loire et interroger l’auteur de La Ligne des glaces sur son travail. Mais le premier raidillon à la sortie des locaux du Matricule, une pente à 3 % sur au moins 50 mètres, nous a convaincus que l’aventure tournerait au désastre, aux poumons brûlés et au cœur explosé, et c’est donc en train que nous avons poursuivi le voyage. Le train peut aussi représenter une forme d’aventure aurait dit Éric Pessan, autre écrivain de Loire-Atlantique, tout comme Thierry Froger dont les romans s’ancrent non loin d’Ingrandes, sans oublier Jean-Claude Pinson ou Pierre Michon dont il sera aussi question.
Ce n’est toutefois pas un écrivain régional qu’on s’apprête à rencontrer : les livres d’Emmanuel Ruben se déploient comme autant de mappemondes qui dessinent des paysages réels ou inventés, ceux d’une Europe mosaïque ou d’un archipel de fiction.
L’homme nous accueille sur le quai de la petite gare. La maison qu’il loue avec sa compagne Anne n’est pas loin, mais l’on s’arrête en chemin devant le spectacle magistral qu’un coude de la Loire offre ici, aux heures de fin d’après-midi. Le fleuve est large et tranquille, la rive en face semble étirer jusqu’à l’horizon les prairies qui l’entourent. L’écrivain n’a pas menti : la maison donne sur la Loire et le pont qui l’enjambe. Le printemps s’est invité avec beaucoup d’avance et après avoir débouché une bouteille d’un Savennières Roche aux moines du siècle dernier (1998 !), il est décidé que nous commencerons l’entretien assis sur le parapet du fleuve. On a connu des moments plus pénibles.
C’est sur les rives d’un autre fleuve que notre hôte a grandi. Né en 1980 à Lyon, il est le deuxième fils d’une famille qui en comptera trois. Son père, agent EDF, travaille à la centrale nucléaire Superphénix de Creys-Malville que la fermeture en 1997 mettra prématurément à la retraite. Né en 1952, il vient d’une famille protestante de la Drôme, du côté de Die. La mère d’Emmanuel, née en 1953 en Algérie, vient d’une famille juive qui a ses racines en Lorraine. L’arrière-grand-mère maternelle était une fille-mère allemande qui avait dû traverser une partie de l’Europe pour s’installer dans cette Alsace-Lorraine alors...
