On avait jusqu’ici ignoré Guillaume Musso. L’intitulé de cette chronique rendait pourtant la confrontation inévitable. Selon Wikipédia, le romancier aurait amorcé avec ses derniers ouvrages un virage important, s’éloignant du genre fantastique qui fit sa gloire pour se rapprocher du polar. C’est possible. Au supermarché, l’examen des gondoles dédiées à son œuvre permet toutefois de constater une rupture dans la confection des titres : le modèle Interflora (Seras-tu là, Parce que je t’aime, Que serais-je sans toi ?) se voit abandonné au profit de tournures plus neutres (La Jeune Fille et la nuit, Un appartement à Paris).
Dans sa dernière production, La Vie secrète des écrivains, le narrateur initial, un personnage d’aspirant-écrivain cherche à rencontrer son romancier favori, Nathan Fawles, afin d’en soutirer des conseils. Raphaël Bataille – le nom du maudit – se désespère d’être régulièrement éconduit par les éditeurs, ces « gestionnaires de la littérature qui lisent les textes à travers le prisme d’un tableau Excel ». Son manuscrit a pour nom La Timidité des cimes. Si le contenu se révèle aussi obscur que le titre, on comprend mieux l’insuccès du garçon. Dans la vraie vie, il aurait pu consulter les offres du site de l’école Les Mots. L’établissement se propose de répondre aux difficultés d’expression que peut rencontrer au quotidien l’individu moderne. Raphaël se serait inscrit à l’atelier de Chloé Delaume, lequel, en huit séances de travail, sous l’action d’un véritable « coaching stylistique » et moyennant 380 €, fixe à l’élève des objectifs ambitieux : « Maîtrise des figures de style, dynamisation du champ lexical, application ou explosion des attentes et académismes ».
Mais aucun danger de croiser Guillaume Musso parmi les murs d’une telle officine : d’obédience janséniste, l’auteur ne croit pas à la transmission. Il le revendique par la voix de son double fictionnel : « Mais aucun conseil n’a jamais rendu un écrivain meilleur ! (…) Personne ne peut t’apprendre à écrire. » Une vérité que Raphaël encaisse mal : « Pétard ! Vous n’êtes pas commode. » (par chance, le vieil ours s’attendrit et cent pages plus loin comble les attentes du garçon : « C’était chouette de le voir parler d’écriture avec passion »).
Après avoir connu le succès, Nathan Fawles a renoncé à la littérature et s’est retiré seul avec son chien sur une île imaginaire (une carte en noir et blanc nous est proposée au début du livre, tu peux la colorier si tu veux). On croirait cette figure inspirée par Maurice Blanchot mais non précise l’auteur, il s’agit d’un mélange de Roth-Ferrante-Pynchon. En créant comme avant lui Pessoa, Borges ou Nabokov, un écrivain de papier, le romancier s’est fait plaisir (que ceux qui jugent ce parallèle exagéré aillent plancher sur l’explosion des académismes avec Mme Delaume). Musso joue avec son avatar comme avec un Playmobil et invente autour de son personnage fausses interviews et faux reportages. Conduit sa figurine jusque sur les plateaux de télévision, en retranscrivant son passage dans l’émission Bouillon de culture.
Et la fausse œuvre ? C’est – vertige – le livre que nous tenons dans les mains. Le récit multiplie en effet les mises en abyme en suivant le principe d’une narration gigogne. On dévisse Raphaël Bataille et voici qu’apparaît Nathan Fawles, duquel, à son tour déboîté, surgit Guillaume Musso himself. L’auteur, cabot, ne peut s’empêcher de venir saluer son public à la fin de la représentation et dévoile dans son épilogue les sources et les secrets de son inépuisable inspiration.
C’est que l’imagination de Musso fonctionne comme les algorithmes de Google ou Facebook. L’homme possède le talent d’anticiper les attentes du lecteur et connaît les techniques susceptibles de lui procurer un délicieux sentiment de déjà-vu sans pourtant faire naître le trouble d’une imitation ou d’un plagiat. Aussi, davantage que dans la figure de Nathan Fawles, le véritable alter ego de l’auteur serait à chercher du côté du méchant de l’histoire, Alexandre Verneuil, odieux trafiquant d’organe dissimulé sous le masque angélique d’un médecin humanitaire de gauche. Comme lui, Musso prélève dans les best-sellers du moment de quoi conforter son lectorat et donner vie à son texte : on reconnaît çà et là, le cerveau de Joël Dicker, l’estomac de Michael Connelly ou les poumons de Stieg Larsson.
Il s’abstient en revanche de rien ponctionner sur le corps de E.L James (mais si, Cinquante nuances de Grey). Les quelques séances de torture qui égaient le récit ne sont malheureusement le prétexte d’aucun jeu érotique. Wikipédia, à nouveau, donne la clé de cette absence : l’auteur est d’origine antibaise.Pierre Mondot
En grande surface Mussologie
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Pierre Mondot
Mussologie
Par
Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°203
, mai 2019.