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Domaine étranger En exil instable

juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204 | par Guillaume Contré

La publication de deux livres de Sergueï Dovlatov est l’occasion de mieux découvrir l’œuvre drôle et pathétique d’une plume aussi sensible qu’acerbe.

La Zone : Souvenirs d’un gardien de camp

L’histoire de la littérature russe au XXe siècle est en bonne partie celle de la lutte contre la censure et l’impossibilité de publier. Celle aussi de l’exil, quand il aura été possible. Ces questions sont omniprésentes dans l’œuvre de Sergueï Dovlatov (1941-1990), écrivain devenu une référence en Russie, une fois qu’après sa mort ses livres – écrits pour une bonne part durant son exil américain entamé en 1979 – y furent enfin publiés.
Avec la publication de son Journal invisible en 2017, où Dovlatov racontait ses années ubuesques de directeur de revue forcé de pratiquer une censure dont il était la première victime, l’éditeur suisse La Baconnière poursuit l’aventure en offrant simultanément deux textes qui, quoique d’apparence dissemblable, ne manquent pas de se rejoindre en ce qu’ils articulent l’un comme l’autre un passé soviétique souvent terrible avec un présent américain où la désillusion n’empêche pas l’humour (aussi désabusé que salvateur).
C’est là un des traits essentiels de la prose de Dovlatov, qui explique sans doute son succès actuel auprès de ses compatriotes : une capacité à manier un ton acerbe et une ironie qui frappe juste sans jamais perdre une certaine tendresse pour les personnages qu’il croque, que ceux-ci soient victimes ou bourreaux. Le totalitarisme soviétique s’arrangeait de toute façon pour que les deux rôles soient constamment réversibles, ce que Dovlatov ne se prive pas d’illustrer, non pas pour dédouaner qui que ce soit mais pour mieux souligner les ravages d’un système implacable où les actes des uns et des autres – qu’ils relèvent de la bravoure ou de la couardise – n’ont jamais d’autre sens que celui de la survie la plus immédiate et la conservation d’un semblant de raison.
Dovlatov a un talent immense pour donner vie en quelques phrases à des personnages pathétiques, dérisoires, attachants ou abjects (et souvent tout cela à la fois), des personnages qui sont aussi bien ses collègues gardes du camp à régime spécial d’Oust-Vymsk, au Kazakhstan, où il dut faire son service militaire au début des années 60 – sujet de La Zone, son premier livre, qui devra attendre 1982 pour être publié – que les dissidents en exil réunis au mitan des années 80 à Los Angeles pour un Symposium sur « La Nouvelle Russie ». Notre auteur y assiste en sa qualité de journaliste pour une radio russe new-yorkaise et en fait cette fois le sujet de La Filiale.
À peine débarqué à L.A., Dovlatov est reconnu par un chauffeur de taxi qui fut lui-même détenu dans le camp d’Oust-Vymsk. L’anecdote, outre qu’elle souligne la cohérence d’une œuvre essentiellement autobiographique, montre combien dans l’exil la condition de l’exilé et les raisons de son départ – opposant politique ou détenu de droit commun – n’importent guère. Tous ont été victimes de la même broyeuse et tous se débattent dans un même purgatoire où flotte la bannière d’une URSS honnie et d’une Russie fantasmée. L’Amérique, dès lors chez Dovlatov, n’est qu’un décor dans lequel se mouvoir avec aisance mais sans jamais se départir d’une certaine sensation d’irréalité.
Dans sa chambre d’hôtel – où, illustration parodique de l’abondance de l’économie de marché, on ne cesse de lui apporter des boissons qu’il n’a pas commandées – ou d’une conférence à l’autre, l’auteur a beau avoir l’impression que « la réalité est légèrement instable » il ne perd pourtant pas un détail et en bon observateur faussement blasé en tire des saynètes drolatiques et toujours pertinentes. Tous ces orateurs qui déblatèrent sur la Russie à venir (on est alors en pleine perestroïka) sont en réalité un peu perdus et Dovlatov – qui n’en mène pas plus large – s’en amuse avec une certaine bonhomie. Le livre se fait plus dur quand il raconte en contrepoint l’histoire de son premier amour, une certaine Tassia brusquement ressurgi du passé. Le récit intime d’un amour malheureux au seuil de l’âge adulte rencontre alors l’histoire amère du pays et l’effritement forcé des illusions. La jalousie qui ronge le jeune Dovlatov est une métaphore à peine travestie de la grisaille de son futur. L’auteur perd sa fiancée lorsqu’il part au service militaire dans le camp évoqué plus haut, sujet principal de La Zone. Là, le présent américain s’exprime sous forme de lettres adressées à son éditeur, qui s’intercalent avec les épisodes tragi-comiques de la vie dans le camp. L’auteur, qui sait pertinemment que « lorsque tu éprouves des impressions confuses il est encore trop tôt pour écrire » et que « quand tu as finalement tout compris, tu peux seulement te taire », ne cherche pas à être Soljenitsyne. Faisant l’impasse sur les pires atrocités auxquelles il aura assisté, il préfère, plutôt qu’un « spectacle tapageur », présenter au lecteur « un miroir ». Car dans l’enfer soviétique, c’est bien l’humain qui intéresse Dovlatov ; l’humain, cet être faillible qui, dans un système qui prétend le nier, ne cesse pourtant d’être là.
Guillaume Contré

La Zone. Souvenirs d’un gardien de camp et La Filiale, de Sergueï Dovlatov
Traduits du russe par Christine
Zeytounian-Beloüs, La Baconnière,
192 pages, 14 & 140 pages, 18

En exil instable Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°204 , juin 2019.
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