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Domaine français Les coutures du monde

octobre 2019 | Le Matricule des Anges n°207 | par Dominique Aussenac

Alexandre Seurat nous invite à une autopsie fraternelle, d’une insoutenable beauté.

En théorie, nous devrions être tous frères. En théorie est un beau pays ! Dans la Genèse, le premier humain à mourir fut Abel, des mains de son frère Caïn. L’aîné n’ayant pas supporté que Dieu eût préféré le cadeau du frangin. Ah, ces dieux ! Depuis La Maladroite, son tout premier roman, la chronique d’un massacre annoncé, d’une petite fille par son papa, publié en 2015, Alexandre Seurat ourle une blessure, une souffrance, une faute née ou générée à l’enfance. Dans L’Administrateur provisoire, en 2016, c’est le suicide d’un fils, d’un frère porteur d’une culpabilité venant du fond des âges qui déclenche l’intrigue et permet de révéler que l’arrière-grand-père Raoul H fut un parfait fumier qui dépossédait les biens des Juifs. Un funambule (2018) évoque la dérive d’un frère dans une maison de vacances. La littérature n’a pas vraiment de vertus thérapeutiques, même si elle permet de poser, de mettre à distance, de révéler, de partager des mots et des maux. Rarement, elle réussit à effacer ces derniers. Le talent d’Alexandre Seurat est d’énoncer des faits graves, atroces, quasiment sans pathos tout en étant pathétique. Il arrive à nous faire supporter son enfer personnel, très droit et vacillant dans ses bottes. Le tout et son contraire. Son écriture semble courir, fluide, mais s’avère hachée, hoquetée, assourdissante, jamais apaisée. Elle cerne, énonce le trouble, l’émoi, le tourment.
« Je me balance d’avant en arrière, je regarde mes mains dans la lumière sourde : anguleuses et fines, elles présentent des découpes aiguës, elles précèdent le manque. » Construit en trois parties ponctuées d’italiques, les voix du frangin et des différents interlocuteurs, Petit frère offre un préambule dans lequel la compagne de ce dernier invite le narrateur à aller sur les lieux du suicide et d’en ramener des carnets, des toiles. « Ça va », « Ça va, mec, impeccable »… l’expression favorite du cadet est ici distillée, remâchée. Elle piaffe dans ce sas-préambule, s’exacerbe, s’impatiente… L’ex-compagne précise aussi la ressemblance physique des deux frères. « Il y a un peu de lui dans vos visages, – ce vous, dans sa réponse, trace l’espace d’une appartenance que je voudrais secouer…  » Cette formulation trouble le narrateur. Tout au long du roman les deux frérots sont à deux doigts de fusionner et n’en finissent pas de se dédoubler, sans jamais s’étreindre. La très brève et première partie introduit dans la chambre noire et porte les derniers mots du défunt. « Si quelqu’un lit ces mots, ce doit être que je suis déjà mort. Bienvenue dans l’univers de mes carnets.  » La deuxième remonte jusqu’à l’enfance du suicidé. Il y est beau, magnifique et déjà vibrionnant, révélant un côté obscur, fragile, retors, anxiogène. Le milieu familial, la serre y sont décrits. Le père, abrupt, impuissant, malhabile, perdu. Ah, ces pères ! La mère tout aussi aimante, volontaire, maladroite, plus effacée. Ah, ces mères ! L’adolescence et l’âge adulte révèlent une chanson de gestes, une manière ad hoc de tituber entre réel et imaginaire, ivresses alcooliques et narcotiques. Le moment où le père avalise l’internement du fiston avec l’assentiment implicite des autres membres de la famille génère une fission, la création d’une nouvelle métastase, un caillot sanguinolent. « Certains dessins de mon frère sont torturés : ce sont des corps crucifiés réalistes et sombres, des scènes où une figure d’adulte terrifiante, gigantesque, menace un enfant minuscule. » Les deux frères se frôlent, s’attirent, se séparent. L’un affirmant son admiration pour l’autre. L’autre hurlant son impuissance, sa souffrance.
« La mort de mon frère est restée de l’autre côté de la fenêtre devant laquelle j’écris, la nuit, et c’est là qu’elle est encore. Mes doigts y cherchent l’impossible et ne le trouvent pas. » L’impossible, Seurat l’écrira dans son prochain roman. Quant à sa culpabilité ?

Dominique Aussenac

Petit frère, d’Alexandre Seurat
Le Rouergue, 176 pages, 17,50

Les coutures du monde Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°207 , octobre 2019.
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