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Sur chaque bouffée d’aurore…
Lmda N°242 Par un premier roman tonique, imagé et très documenté, Xavier Donzelli raconte la saga du plus célèbre poème d’Eluard. Les poèmes transportent. Liberté, plus que tout autre. Une puissance, un style nouveau, une scansion, des mots simples et un carambolage d’images parfois contraires, fulgurantes. Liberté fut d’abord un poème de résistance, intitulé initialement Une autre pensée écrit et diffusé à la barbe de la censure de Vichy et des Allemands, avant de devenir un poème populaire, compris, aimé par le plus...
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Domaine étranger Jardin tourmenté Un roman historique flamboyant au cœur de la Renaissance italienne. Météoriquement paru en 1962, Bomarzo fut interdit pendant dix ans en Argentine, sans doute parce que son personnage parut trop peu moral. Il est étonnant que le chef-d’œuvre de Manuel Mujica Láinez (1910-1984) soit chez nous ignoré, bien que traduit en 1987. Et stupéfiant qu’un auteur argentin connaisse si intimement la Renaissance italienne pour y planter un irremplaçable héros. Un fils bossu naît malencontreusement au château de Bomarzo,...
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Domaine français Mémoire en écume Somptueux et puissant, Une mère éphémère explore les replis de la mémoire en conjurant l’inceste par la force d’une langue poétique. Une mère éphémère, d’Emma Marsantes, est le premier roman d’une autrice dont le pseudonyme à sa syllabe redondante place la mère en figure autour de laquelle tout se noue. Et déjà, il promet au lecteur un texte où la matière du langage sera au cœur d’une douloureuse autopsie. Durant la quinzaine d’années que parcourt ce récit rétrospectif de Mia, enfant, adolescente, puis adulte, se dévoile comment, dans une famille bourgeoise du Neuilly des...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
En thérapie
Pour son nouveau roman, Cher Connard, Virginie Despentes a choisi la forme épistolaire. Bonne idée, voilà un moment que le genre appelait une mise à jour. Les grands modèles que sont les Lettres persanes et Les Liaisons dangereuses paraissent aujourd’hui caducs. Montesquieu parce que la Perse n’existe plus – rachetée par les Qataris. Laclos, parce que son scénario s’effondrerait trop vite : Valmont au premier mail se verrait balancé par la cellule de veille d’un parti progressiste et conduit devant le juge.
En comparaison de ses aînés, Despentes a pas mal dégraissé l’effectif. Deux...
Le Matricule des Anges n°238

un auteur
James Baldwin
Chronique
Traduction
Traduction
Thierry Gillybœuf
Poèmes, de Herman Melville
C’est une longue histoire. Au reste, je suis incapable de dire à quand elle remonte. Ni ce qui en a été l’élément déclencheur. Il se trouve que Melville est une obsession. J’ai lu Moby Dick quand j’avais une dizaine d’années, dans une version « pour la jeunesse », autrement dit une version dont on avait expurgé la dimension téléologique pour n’en retenir que la trame de la chasse. Un Moby Dick ne contenant pas, par exemple, le chapitre « Cétologie » qui est peut-être le pivot du livre. Autrement dit, pour moi, à cet âge, Moby Dick, c’était comme Croc-Blanc de Jack London ou Le Grizzly de...
Le Matricule des Anges n°238
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Domaine étranger Traversées mentales Bordé de références littéraires, l’onirique roman du Chypriote Sofronis Sofroniou défie les bulles temporelles. La métaphore du jeu d’échecs innerve ce roman, météore plus qu’étrange. Car au voyage dans l’espace s’ajoute celui dans le temps, entre fantastique et science-fiction. Car une partie délicate s’engage, entre la vie et la mort, entre la mémoire et l’art. Assassiné en 1948, à la soixantaine, le narrateur, un joueur d’échecs new-yorkais, est projeté sur la planète « Petite Vie », retrouvant l’âge de 20 ans. Gagner dix ans de vie ne se fait pas...
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Poésie Manœuvre de pelle et de pioche Toute la vie, première traduction du poète tessinois Fernando Grignola, révèle quelle attention sa poésie portait aux pauvres, à l’économie du peu, aux gestes frugaux et néanmoins essentiels à toute existence vraie. C’est un miracle que de voir paraître de tel livre. Toute la vie est lui venu de l’écrin tessinois (et plus particulièrement de la région du lac Lugano) résonner aujourd’hui dans nos mains tel le froissement odorant d’une gerbe de foin. Bien que lauréat du grand prix Schiller en 1998, qui, de l’autre côté des Alpes, aura entendu la voix de Fernando Grignola (écrite dans le dialecte de l’Agno) signer la balafre sans dialectique entre la fin...
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Poches Beau comme un bijou barbare Anti-roman, livre manifeste, feu d’artifice d’hystéries esthétisantes, À rebours est une tentative de suicide par la beauté et le plaisir. Fiévreux, byzantin et sardonique à souhait. Œuvre déconcertante, livre stupéfiant, extravagant et désopilant selon Maupassant, À rebours (1884) ralliera des esprits aussi différents que Mallarmé, Valéry ou Oscar Wilde. Désirant fuir le naturalisme des Sœurs Vatard, d’En ménage et d’À vau-l’eau, Huysmans dira plus tard qu’il avait eu le désir de « supprimer l’intrigue traditionnelle », de « briser les limites du roman », de « faire à tout prix du neuf ». Et le fait fut qu’on n’avait...
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Théâtre La violence, inlassablement Veronika Boutinova jongle avec l’Histoire et les anachronismes pour montrer que finalement rien ne change jamais. En 2017, à l’occasion des commémorations de la Première Guerre mondiale, Veronika Boutinova écrit Jelena, juste une fois !, un texte qui raconte par le menu l’attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914. Ce jour-là, un jeune militant nationaliste serbe, Gavrilo Princip, tue l’archiduc d’Autriche Franz Ferdinand, héritier du trône, et sa femme Sophie, lors de leur visite dans la capitale de la Bosnie annexée par l’Autriche-Hongrie, déclenchant...
Égarés, oubliés
par Éric Dussert
Supporter les barbares
Princesse instruite de Constantinople, Anne Comnène fomenta un coup d’État et rédigea une impressionnante chronique du règne de son père l’empereur Alexis Ier.
On n’avait pas eu l’occasion jusqu’ici d’accueillir en ces pages une princesse, originaire de Byzance en particulier. C’est la parution du dictionnaire consacré par Bruno Dumézil et son équipe aux Barbares (voir page 8) qui nous a ouvert l’esprit et l’appétit. Non qu’une pointe d’anthropophagie nous submerge, c’est bel et bien la personnalité d’Anne Comnène – on ne la confondra pas avec Marie-Anne Comnène (1887-1978), l’épouse romancière de Benjamin Crémieux. La personnalité de la princesse byzantine et l’intérêt de son écrit qui déborde lui aussi d’atouts séduisants.
Née le 2 décembre...
Le Matricule des Anges n°176