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Le salut aux ombres
Lmda N°250 Joseph Bialot (1923-2012) écrit son récit du camp et de l’impossible deuil du camp. Un grand livre d’Auschwitz. L’ancien résistant Joseph Bialot, né Joseph Bialobroda à Varsovie, a déjà 55 ans à la sortie de son premier polar, et c’est à 78 ans qu’il témoigne d’Auschwitz. Il aura été en panne un quart de siècle, la tête encore dans le camp. Et puis, à quoi bon ? « On ne compte plus les récits sur la déportation. Ils se sont accumulés. En vain. Tout le monde écoute, personne n’entend. » Pourquoi en...
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Domaine étranger Les dépossédés d'Élias Khoury Dans un puissant roman d’apprentissage, l’écrivain libanais explore ce paradoxe douloureux : être exilé dans son propre pays. Nous ne connaissons que quelques bribes des histoires racontées, chaque histoire porte en elle des secrets et comporte de multiples facettes et, malgré de nombreuses tentatives, les romanciers demeurent incapables de la raconter de manière exhaustive ». Nul doute qu’Élias Khoury partage ce diagnostic, qu’il attribue à son narrateur, mais ce n’est pas là un constat d’échec, plutôt un défi à relever. Il lui faut donc près de 400 pages pour...
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Domaine français Mémorable filiation Un hommage musical et touchant, dans une langue d’une grande intensité poétique, au défunt grand-père, personnage haut en couleur. Une dernière visite pour inventaire dans ce qui fut la maison, désormais en vente, d’un grand-père disparu, Wilfrid, personnage aussi attachant qu’excentrique et vitupérant, bref un échalas « colérique à souhait », ce qu’en bon français on qualifie de « soupe au lait ». Voilà qui est l’occasion pour Érik Bullot, dans ce livre initialement publié en 1996 (Deyrolle éditeur), de faire de celui-ci, champion d’un « désordre savamment orchestré »...
Chronique
En grande surface
En grande surface
par Pierre Mondot
Les corps caverneux
Inquiet sans doute du piètre état des nappes à la veille d’un énième été radieux, Pierre Michon rouvre les écluses et miracle, voici qu’à nouveau coule la Beune. Enfin, miracle. C’est parler vite. Ce retour bien sûr nous ravit mais. Comment dire. Difficile de contenir sa déception si l’on se remémore cette information parue dans Le Monde à l’été 2020 : l’auteur des Vies minuscules annonçait avoir achevé « un roman d’amour de plus de quatre cents pages ». Un texte « hypercontemporain », précisait-il, avec une partie de l’intrigue située en Chine mais chut je ne vous en dis pas plus. Et...
Le Matricule des Anges n°244
un auteur
Magyd Cherfi
Chronique
Traduction
Traduction
Antonio Werli
Horcynus Orca*, de Stefano D’Arrigo
Imagine quelque chose d’aussi vaste et profond qu’un océan et aussi haut et large qu’une montagne. Et imagine encore que la seule chose excitante que tu ressens lorsque tu te retrouves devant cette énormité, c’est que tu veuilles la traverser.
J’ai découvert le nom d’Horcynus Orca il y a une quinzaine d’années par un simple commentaire d’un internaute italien sur un site dont je ne me souviens plus le nom, à une époque où je m’intéressais particulièrement à la littérature italienne contemporaine. Je n’avais jamais entendu parler de ce roman ni de l’auteur, toutefois D’Arrigo était cité...
Le Matricule des Anges n°246
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Domaine étranger Des mythes à la lettre Dans un roman sombre, cruel, à l’humour acide, Kristian Novak dénude une enfance chaotique à l’aube de la balkanisation de la Yougoslavie. Qui n’a jamais souhaité la disparition de quelqu’un ? C’est même un comportement normal, œdipien quand il s’agit du père pour un garçon. De là à ce que Matija en assume la disparition et celle de tous les suicides étranges qui frappent le roman ? Pourquoi tant de fadaises débitées aux enfants ? Devrait-on leur dire la vérité ? Que la vie, si belle soit-elle, a bien une date de péremption et que la mort ne s’explique pas, reste un...
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Poésie Condenser, dit-elle Un choix de lettres, deux essais et des notes de voyage, par Lorine Niedecker, la « plus objectiviste des objectivistes » américaines. C’est en ouvrant en février 1931 le volume XXXVII, N°5, de Poetry, la grande revue moderniste, que Lorine Niedecker, encore sous influence de Pound et de l’imagisme, découvre cette « nouvelle constellation » de l’objectivisme américain. Le mot « Objectivists », au pluriel, orne le fronton de la revue et de son Pégase aux grandes ailes, il est suivi d’une liste parmi laquelle on lit les noms de Reznikoff, Williams, Rakosi, Oppen, Zukofsky,...
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Poches Entre grâce et néant Vouloir lire les Pensées de Pascal en évitant le vertige, c’est vouloir lire autre chose que les Pensées. Marianne Alphant en fait l’expérience au fil d’une lecture aventureuse tout en rapport d’écoute et de quasi-dialogue. On ne sait jamais où nous emmène un livre, surtout quand il s’agit d’un livre resté à l’état d’ébauche, d’une suite de pièces et de morceaux, de fulgurances et d’éclairs géniaux – le roseau pensant, l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie, qui veut faire l’ange fait la bête, le nez de Cléopâtre… – et quand leur auteur est, avec Rimbaud, l’un des écrivains les plus manipulés de la littérature française. Marianne Alphant, qui aime voyager...
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Théâtre Un opéra tout neuf L’œuvre culte de Bertolt Brecht, nouvellement traduite, bénéficie d’un remarquable travail éditorial. L’Arche, la maison d’édition qui veille historiquement sur les œuvres de Bertolt Brecht, poursuit avec constance et intelligence son travail autour des textes du grand dramaturge allemand. Après avoir publié en romans graphiques Histoires de monsieur Keuner et La Résistible Ascension d’Arturo Ui, elle entreprend cette fois de nous faire redécouvrir son œuvre la plus célèbre, L’opéra de quat’sous à travers une très belle édition critique. En...
Intemporels
par Didier Garcia
Vues de l’esprit
Nicolas Stakhovitch (1958-1994) fait de la pensée le seul protagoniste de son récit. Une sorte d’abstraction pure.
L’élément déclencheur du délire verbal sous lequel Stakhovitch nous propulse et nous abandonne, sans nous laisser la moindre phrase de répit, c’est la mort de Gralph, le genre d’événement qui d’ordinaire permet à un auteur de clore son récit. Pour être tout à fait précis, plus que sa mort c’est le moment où sa nièce l’annonce au narrateur par téléphone, quelques heures à peine avant la sépulture, un narrateur dont Gralph était le « seul vrai ami ». À ce moment-là, nous confie-t-il, avec cette absence de mesure qui le caractérise et qui prête souvent à sourire, « des centaines et des...
Le Matricule des Anges n°164