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Quartier libre Énergétique transition

novembre 2014 | Le Matricule des Anges n°158 | par Xavier Person

Lire la poésie d’Anne Waldman, se voir nu dans le regard d’un lamantin, etc.

Archives pour un monde menacé

Face aux changements climatiques en cours, dont tout donne à penser qu’ils s’accélèrent selon les pires prévisions, face à ce monde imprévisible où nous entrons, d’une violence météorologique sans nom, que peut un livre, que peut la littérature, est-elle même encore juste décente, envisageable, a-t-elle seulement un sens en ces temps de tornades et de sécheresses, en ces temps de tempêtes et d’inondations, alors que les glaces fondent sous nos yeux indifférents ? Dans ce monde menacé où nous allons apprendre à vivre, à quoi bon la poésie ? Y croyant encore, à ce que pourrait être son pouvoir, continuant d’écrire ou de lire des poèmes, ne participons-nous pas de l’aveuglement généralisé ? Ne nous imaginons-nous pas dans l’ancien monde encore, où on pouvait s’illusionner sur les pouvoirs du langage ? Où à cette impuissance propre à la littérature on continuait de rêver une puissance ?
Sans s’illusionner sur son efficacité, la poésie d’Anne Waldman tire toute sa force et sa justesse de ne pas se leurrer sur le moment inouï où elle s’énonce. Consciente de l’état du monde, elle s’expose à ses menaces, s’y affronte même, sans prétention et cependant avec une forme d’espoir, dans une clairvoyance rare et sans résignation. Cette immense poétesse américaine, qui a participé à bien des luttes politiques avec Allen Ginsberg, avec qui elle a fondé en 1974 la Jack Kerouac School of Disembodied Poetics de l’Université de Naropa, où elle accueille les poétiques les plus diverses, cette militante qui il y a peu participait au mouvement occupy, ne cesse de faire entendre sa voix. Avec son lyrisme propre, dans cette ouverture qui la caractérise et cette énergie, alliant au bouleversement des formes et des expériences d’écriture la sérénité de sa pratique du bouddhisme, elle ne cesse de faire irruption. Avec force et clarté, une étonnante et saisissante clarté.
Traduction en français de textes tirés de quatre livres récents, Archives, pour un monde menacé est à sortir de la pile des livres qui ne nous font plus rien, qui font comme si de rien n’était. Si la poésie s’y archive en effet, si ce livre se rêve comme dépôt des formes d’écriture, telles des traces de pas avant leur effacement, ce n’est pas tant pour se complaire dans quelque nostalgie que pour s’imaginer une force de vie. « Archives » s’y entend un peu sans doute au sens où l’entendait Foucault, comme système des relations entre le non-dit et le dit, archéologie de la force d’énonciation dans tous discours, possibilité maintenue de transformation des énoncés.
Au-delà de ce qui vient se déposer là, d’une oralité poétique dont ce livre veut capter la puissance, ce qui frappe le plus à sa lecture est la manière dont il se constitue comme sa propre archive. Si fragile est la possibilité d’un dire poétique aujourd’hui, si aléatoire la possibilité d’être entendu, qu’il vaut mieux s’imaginer sans doute être lu dans un avenir où ce que nous écrivons maintenant en pure perte pourrait faire effet.
Le livre dès lors se concevrait comme le stupa de Borobudur à Java qui inspire à Anne Waldman l’écriture de La structure du monde comparée à une bulle. Trouvant son origine dans l’Inde prébouddhique où il servait de tumulus funéraire, « conçu à la fois comme un mandala, une carte psychologique pour le pèlerin bouddhiste et comme un défi spirituel pour le visiteur athée ou l’esthète profane  », cet édifice avait comme disparu jusqu’à sa « découverte » au dix-neuvième siècle sous des monceaux de terre recouverts de végétation. Ce qui se déposerait dans cette écriture serait enfoui pour plus tard, pour un présent à venir, qui saurait déchiffrer ce que nous ne savons pas encore dire, ou ce que nous disons sans rien pouvoir en faire, sans que rien ne se passe.
S’interrogeant sur le fait d’être vu, nu, dans le regard d’un chat, du fond de ce regard sans fond, Derrida voyait là le début de la fin de l’homme, ce passage d’une frontière depuis laquelle l’homme se pose la question, non seulement de sa nudité, mais aussi de son propre nom, de son pouvoir de nommer : « je suis, disait-il alors, comme un enfant prêt pour l’apocalypse, je suis l’apocalypse même, à savoir l’ultime et premier événement de la fin, le dévoilement et le verdict. » Dans Lamantin/L’humanité, Anne Waldman veut tenir sa promesse d’être fidèle à l’esprit d’un lamantin à la mort duquel elle a assisté. « Le lamantin n’a pas d’ennemi naturel sinon l’homme contre nature »  : c’est à partir du regard de ce très vieil animal agonisant posé sur l’humanité que s’énonce une poignante litanie. Imaginons vivre et penser depuis ce regard porté sur nous, à partir de cette fin et de ce début, dans ce vertige.


Xavier Person

Archives pour un monde menacé
Anne Waldman
Traduit de l’anglais (États-Unis) et postface de Vincent Broqua,
Joca Seria, 142 pages, 21

Énergétique transition Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°158 , novembre 2014.
LMDA papier n°158
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LMDA PDF n°158
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