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Nouvelles Maleterre

avril 1993 | Le Matricule des Anges n°4

Né en 1963 et habitant Perpignan, Didier Goupil enseigne le français dans un collège. De septembre 1992 à mars 1993, il fut accueilli comme écrivain résident par la D.R.A.C. de la région Centre et la ville de Saint-Jean-de-Braye. En 1990, il a obtenu la bourse littéraire de la Fondation Del Duca. A ce jour, trois textes de Didier Goupil ont été publiés dans Nota Bene (Éditions La Différence, 1990), plus une nouvelle dans l’Anthologie des meilleures nouvelles 90-91 (Syros) et quelques unes dans diverses revues. Il travaille actuellement sur un récit. Apprécie particulièrement Giono (deuxième période) Le Clézio et Tabucchi. Derniers livres achetés : Récits incertains de Jean-Claude Pirotte et Les voilà, quel bonheur d’Annie Saumont.

On ne sait que deux ou trois petites choses de Paul Maleterre : qu’il fut peintre dans le Paris de Picasso, qu’il était originaire de Narbonne, qu’il reçut le poète Pierre Reverdy lui-même narbonnais, quand celui-ci monta à la capitale. Il nous a plu d’en raconter une quatrième : la manière dont Paul Maleterre, dans son petit village des Corbières, fit l’apprentissage de la peinture

Paul Maleterre passait le plus clair de son temps dans la chapelle. C’était une petite chapelle de montagne encastrée dans les rochers, menacée par les éboulis et le grand bleu du ciel qui perforait en maints endroits la toiture des tuiles vertes. Depuis longtemps elle avait perdu les pauvres ors de sa splendeur passée. On n’y célébrait plus d’office. Les vieilles seules y montaient encore faire brûler des cierges et de l’encens. Elles s’agenouillaient dans une poche d’ombre moisie et priaient durant des heures d’éternité un dieu noir et humide. La voûte, peuplée de saints colorés au regard de plâtre, ployait leurs maigres têtes ; les pavés suintants buvaient leurs blouses de veuves ; les émanations flétrissaient leurs poitrines ascétiques. Si l’endroit leur avait appartenu, nul doute qu’elles se seraient éteintes avec les flammes fumeuses de leurs bougies, décomposées sur place, qu’elles auraient végété sur le dallage à la manière d’une mousse, mais que plus tard l’on eût retrouvé, dans le drap des blouses, des os de pierre.
Seulement l’endroit était la propriété de ce gamin à la carcasse de bateleur. Quand dans leur silence de mort elles percevaient son pas bruyant sur la rocaille du chemin, elles retrouvaient leurs jambes de pucelles et déguerpissaient plus vite que si le diable avait demandé leur main. Planquées dans les buissons, leurs rides tutoyant sans crainte les épines, elles ressentaient de troublants frissons à la vue de cette silhouette de muletier aux airs de maraudeur. Maleterre, le dos chargé de grandes toiles, les hanches coupantes des cailloux dont il avait bourré ses poches, gravissait la pente et pénétrait dans la chapelle en adressant un sourcil menaçant aux buissons bruissants.
Elles ne savaient précisément ce qu’il y faisait tout ce temps, elles savaient seulement que ce temps était bien long, et que trop souvent elles devaient s’en retourner sans avoir pu de nouveau goûter la voluptueuse meurtrissure du pavé. Certes, Maleterre laissait les portes grandes ouvertes, la lumière lui étant aussi nécessaire qu’à elles la pénombre, mais pour rien au monde elles ne se seraient approchées. Son souffle même était peut-être diabolique. Son rire, en tous cas, sonore et brutal, était bien satanique. Elles doutaient qu’il se recueillît. Au village il se disait qu’il peignait. Mais peint-on avec des cailloux ? Est-il possible de faire des choses jolies qui plaisent à Dieu en braillant de la sorte dans sa propre maison ? Non, ce n’était pas un artiste, un blasphémateur plutôt, il suffisait d’entendre ce vacarme, ces éclats de voix et de pierres lapidant le silence sacré du lieu. La tête recouverte de feuilles et la peau percée d’épines, elles se bouchaient alors les oreilles, pressentant bien que dans cet antre sombre, infernal, des comptes se réglaient. Seulement elles croyaient qu’ils étaient d’ordre spirituels, alors que dans l’esprit de Maleterre ils n’étaient qu’artistiques.
Maleterre sortait enfin. Partagées entre le soulagement de le voir s’en aller et la crainte du carnage commis, leurs mains libéraient leurs oreilles et venaient fermer leurs yeux. Elles ne le voyaient donc pas redescendre, les poches vides, le dos cassé sous le poids des toiles piétinées, crevées, dégoulinantes de couleurs véhémentes. Ses couleurs coulaient comme du sang. Sa chemise blanche et ses toiles en lambeaux, à moins que ce ne fût l’inverse, étaient maculées de sangs d’un rouge, d’un jaune, d’un bleu vifs, qui éclataient sur le paysage. Le long du chemin, les couleurs gouttaient et coloriaient les herbes, la terre et les pierres, ce qui ne manquait pas d’inquiéter les veuves, quand elles rentraient au village, parce qu’elles ne pouvaient s’empêcher d’y lire quelques mauvais présages.
Lorsque la menace s’était éloignée, leurs têtes surgissaient des pieux buissons, ceintes de couronnes d’épines. Comme si c’étaient elles qui avaient eu une faute à racheter, elles se précipitaient dans la chapelle, corps voûtés, yeux a terre, elles s’agenouillaient dans leur niche d’ombre et récitaient quantité de psaumes, à la queue leu leu, sans prendre la peine de respirer ni de lever la tête.
Sans se l’avouer, chacune d’entre elles, horrifiée par le nombre de cailloux jonchant le dallage, se permettait de glisser une petite prière pour le salut de l’âme de ce pauvre jeune homme. Mais aucune ne se doutait, qu’au-dessus de leurs têtes, les saints peints de la voûte étaient d’une humeur massacrante et pansaient leurs blessures : or de l’auréole écaillé, mordoré de l’étoffe lézardé, cuivre de la carnation dévasté, ou bien encore soufre bleuté de leur ciel ravagé par le virulent apprenti.

Maleterre
Le Matricule des Anges n°4 , avril 1993.