On mesure l’intensité d’un roman à la faculté qu’il a durant sa lecture d’annihiler ce qui nous entoure pour y substituer sa propre réalité, son propre rythme. La Loi du cachalot de Philippe S. Hadengue a cette force. Une fois refermé, le roman continue à vivre et seul le temps peut progressivement réussir à en chasser les brumes. C’est une étrange histoire qui nous est livrée là, entre onirisme, aventure et rédemption. Le décor est un port, un port de l’Atlantique nord, lieu de prédilection de Hadengue, déjà son premier roman s’intitulait Petite Chronique des gens de la nuit dans un port de l’Atlantique nord. Une fois de plus, ce port ne semble vivre que la nuit car seule l’obscurité peut vraiment mettre en valeur les flammes vacillantes qu’allume Hadengue. Et ses personnages sont des flammes vacillantes. Au centre de ceux-là, Jérémy. Jérémy a tué pendant la guerre (de Corée ?) et sans ordre trois adolescents. Un coup de bazooka, trois têtes qui sautent. Coup de folie ? Pulsion bestiale ? Mister Hyde dévoilé ? Jérémy n’a pas compris. L’armée l’absout, le met en congé d’office. Jérémy n’en finit pas de ne pas comprendre son geste impuni. Et c’est cette punition qu’il vient chercher dans ce port, il ne sait comment, tant son crime le ronge. Et là, une série de personnages et d’événements curieux vont le mener jusqu’à une surprenante rédemption après un procès fou. On n’oubliera pas Dedalus et ses canaux magiques, Sherry Lane et son fabuleux strip-tease. On n’oubliera pas cette atmosphère lourde de cicatrices internes, cette magie qui opère et qui nous entraîne ailleurs, à la fois très loin et très proche de nous-mêmes. La puissance de Hadengue vient que dans ce roman il a réussi à créer une nébuleuse avec ses règles propres, son psychisme personnel qui nous attire en elle et nous garde.
Voilà un roman qui n’appartient à personne par la force de son écriture. Aucune concession quant au style : Hadengue écrit comme il imagine, en arrachant le masque des mots pour leur faire cracher leur venin ou leur miel. Hadengue n’essaie pas de faire simple quand sa plume l’entraîne au-delà du strict minimum nécessaire, ni de faire sophistiqué quand une seule virgule suffit. L’écriture est à la fois hachée et fluide comme le tempo de la vie de ses héros et il a une façon bien à lui de faire palpiter ses scènes par strates juxtaposées, métaphores parfaites de la vie et de ses contradictions. Hadengue n’est pas tombé dans le piège du cliché, sa nuit est vraiment noire et l’aube qui la suit comme une lueur d’espoir.
La Loi du cachalot
Philippe S. Hadengue
Calmann-Lévy
269 pages, 110 FF
Domaine français La loi de Hadengue
avril 1993 | Le Matricule des Anges n°4
| par
Alex Besnainou
C’est encore dans un port de l’Atlantique nord que Philippe S. Hadengue plante ses mots acérés. Une réussite aux senteurs iodées qui réjouira les amateurs de magie noire.
Un livre
La loi de Hadengue
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°4
, avril 1993.