La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français A première vue, Christian Gailly est un écrivain drôle

octobre 1993 | Le Matricule des Anges n°5 | par Thierry Guichard

Dans Les Fleurs, Christian Gailly s’attache à nous faire vivre la rencontre d’un homme et d’une femme. Si, comme dans ses romans précédents, l’auteur nous fait rire, Les Fleurs est plus à lire dans ce qu’il tait que dans ce qu’il révèle.

Les Fleurs

C’est la première fois que le titre d’un roman de Christian Gailly est si long : Les Fleurs, Neuf lettres tout de même ! Ce n’est pas rien ! C’est nettement plus que Dit-il (1987), K.622 (1989), L’air (1991) et Dring (1992). Un titre si long, pour un roman de Christian Gailly, ça vous mettrait presque mal à l’aise. Heureusement, c’est un titre plat, qui s’excuse presque d’être écrit plus gros sur la couverture que les phrases qu’il annonce, un titre qui s’efface, qui se retient tout juste de disparaître. Les livres de Christian Gailly sont ainsi, ils revendiqueraient presque l’insignifiance, s’excusant pour un peu d’encombrer les tables des libraires, « je me contente d’écrire sans convictions des choses qui ne convainquent personne. » (Dit-il) ou encore : « Et sur le papier, lieu désigné des théories de vie et de mort, la trace que je laisse est la seule que je puisse laisser » (p 34). Le pathos, l’émotion, on pourrait croire que c’est ce qu’il fuit le plus comme si ça le dégoûtait tous ces mots qui courent dans les livres. Il s’en sent incapable, lui, d’écrire ainsi, et de croire, surtout, que cela a un intérêt. Seulement voilà, l’écriture l’habite, le hante, il faut bien lui donner sa ration. Alors pour masquer l’obscénité de toute mise au monde, celle d’un roman plus qu’une autre, Christian Gailly cache ses histoires sous des titres minuscules. De même, comme pour s’affranchir de toute impudeur, il nous régale, Christian Gailly avec ses premières phrases comme celle qui ouvre son premier roman dédié « à d’autres » : « Il m’arrive en hiver de ne plus tenir enfermé chez moi, été comme hiver. » On entre dans ses histoires en souriant et l’on en rit.
Vous pouvez ainsi offrir un roman de Christian Gailly à n’importe quelle belle-mère acariâtre, pourvu qu’elle ne soit pas trop myope, vous verrez alors son visage se congestionner pour retenir les zygomatiques pris d’une envie folle de danser. « La première personne sortante tient la porte, la seconde ne la prend pas, pousse l’autre battant qu’elle devrait normalement tirer et la troisième qui arrive l’évite de justesse, c’est la quatrième qui le prend dans le nez en voulant éviter le premier battant de retour dont une cinquième qui entre profite en tenant le second battant pour une sixième qui sort et ne le prend pas mais prend dans l’épaule le premier battant de retour » (K.622). Sorte de Buster Keaton des Lettres, Gailly joue d’un comique né de la maladresse des personnages, de leur incapacité à mener leur vie d’un bout à l’autre de l’existence : « Je ne comprends vraiment pas pourquoi je continue à vivre. J’en ai plein le dos. » (Dit-il). On pourrait citer ainsi des passages entiers de chacun des romans de Gailly. On y retrouverait cet humour désespéré, cette distanciation que l’auteur tente d’appliquer à ce qu’il raconte, avec ses commentaires, in situ, live, de l’écrivain en train d’écrire : « Une fermeture fonctionne très bien à condition de la faire fonctionner dans de bonnes conditions, ça fait deux fois le mot condition et deux fois le verbe fonctionner, à revoir. » (Les Fleurs) Tout est bon pour prendre du recul, mettre à distance, ou mettre sous observation tout ce qui participe du drame. L’écriture délimite surtout l’indicible, rejettant hors du texte ce qui ne peut être dit sans lyrisme, mais laissant, au cœur même du récit la trace de ce qui s’est joué.
Depuis Dring la phrase de Gailly s’est allégée. Un sujet, (souvent « je » ou « il »), un verbe, un complément. Parfois pas de verbe, parfois pas de complément. ça frise l’épure, la nonchalance verbale, la paresse. L’intrigue elle-même est au régime sec ; ainsi Les Fleurs racontent la rencontre d’un homme et d’une femme. C’est tout. Et de ce presque rien, de cette vie quotidienne, c’est à dire dérisoire, donc poétique malgré tout, malgré la rage que l’on y mettrait pour que ça ne soit pas ainsi, Gailly fait un roman saisissant, drôle bien sûr, mais tendre surtout. Parce que si on rit à le lire, si l’on y entre en souriant, on en sort toujours comme atterré, meurtri, touché jusqu’à l’insupportable par ces petits personnages, si petits qu’ils nous ressemblent. Et dans Les Fleurs où pourtant brille un soleil, où tout semble si dérisoire et léger, Gailly installe un virus, le drame est extra-muros, on ne le voit pas, on ne le devine même pas, on sait seulement qu’il est là, et cette certitude suffit à nous émouvoir. C’est comme si, nous faisant rire, nous charmant par ses jeux de mots et ses commentaires, l’auteur ne faisait en fait que nous rappeler notre condition de mortels. Mais de cette lecture, grave on pourrait se passer ; on pourrait n’en conserver que le plaisir. On pourrait comme Paul Bast, le double de Gailly, se voiler la face et chercher à oublier ce qui nous émeut : « Une 4L s’arrête derrière lui. Bleue, un vieux modèle, son père avait la même, le voilà reparti dans les souvenirs, mauvais ça, mauvais, regarde ailleurs… » Donc, dès que l’émotion pointe son nez, on regarde ailleurs, on énumère ce que l’on voit, on décrit cliniquement, en aplat ce qui se joue, là, à l’extérieur, pour éteindre ce qui s’allume à l’intérieur. Ou l’on pratique l’humour comme une thérapie. Cet humour, cette ironie, permet la cruauté : « Il est seul, debout. Le seul qui soit encore debout. ça le change un peu. D’habitude on le range plutôt dans la catégorie des types à genoux. » (Les Fleurs). Que cette cruauté s’abatte ainsi sur un autre que nous, suffit à notre soulagement, on prend les livres de Christian Gailly pour le bonheur qu’ils nous apportent, et si, malgré nous, l’émotion nous étreint, c’est peut-être parce que ce que l’on dit est vrai : les meilleurs clowns sont les plus désespérés.

Les Fleurs
Christian Gailly

Editions de Minuit
92 pages, 59 FF

A première vue, Christian Gailly est un écrivain drôle Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°5 , octobre 1993.