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Nouvelles Le bonheur d’écrire

février 1994 | Le Matricule des Anges n°7

Richard Jorif est né en 1930 à Paris d’une mère martiniquaise et d’un père d’origine indienne. C’est en 1987 qu’il fait son entrée sur la scène littéraire avec Navire Argo (François Bourin) que certains critiques n’hésiteront pas à qualifier de « roman le plus fou de l’année ». Suivront ensuite Clownerie (1988), Le Burelain (1989), Persistants Lilas, et Valéry… (1991). La sortie du troisième tome des aventures de Frédéric Mops, Tohu-Bohu, est prévue en septembre prochain.

Il n’est d’écriture que d’agonie.
(Dominique de Roux)

Ils vont te battre encore te battre leurs poings les noms donne-nous les noms leurs bottes quels noms je ne sais rien me battre à mort et après leurs ceinturons ce serait drôle si ma tête mettre les mains mais non protège tes mains Dans mon village le maître il disait non je suis pas par terre c’est mouillé il disait tu as une belle écriture pour un gaucher de l’herbe c’est de l’herbe non pourquoi c’est si froid Dans mon village ça va finir ils se fatiguent à moins que c’est humide ce n’est pas de l’herbe je saigne quels noms c’est du sang elles sont bien cirées leurs bottes mon père il me battait va te coucher ah il nous en fait voir celui-là arrête tu vas le tuer va te coucher tuez-moi Dans mon village quels noms je n’ai rien à vous dire vous ne voyez pas que je suis mort Dans mon village Dans mon village

 Je… je voudrais… du papier… et un crayon…

 Ah, bon, tu préféres écrire ! Du papier ? Tout de suite !
Et mon stylo ! Personnel ! Tu as ce qu’il te faut ? Tu peux t’asseoir ? Je te laisse une heure, pas plus, une heure ! Attention ! Je veux les noms, tous les noms ! Les planques ! Tout ! Et même, tu vas rire, ce que je ne demande pas ! Vas-y ! Une heure !
Respirer, fort, ça cogne dans la poitrine, dans la tête, ce n’est rien, j’ai tous mes membres, et mes mains, ma main gauche, pour écrire…
Dans mon village, le jour de Pâques, bien avant que le Ciel ne retentisse du bruit de la Résurrection, les enfants, tout endimanchés, s’assemblent sur la place. Ils ont peu dormi. Couchés de bonne heure, cependant, une pensée fiévreuse les a tenus en éveil et fait battre leurs cœurs à coups précipités.
Ils attendent, quasi-muets, l’émissaire du Château qui, solennel, leur donnera le signal de la Quête. Alors, ce sera la course tumultueuse vers l’impériale demeure, le Parc aux mille enfouissements, les arbres aux pieds desquels, peut-être…
Devant la grille grande ouverte, les servantes, béates sous leurs bonnets étincelants, tiennent la pose ; puis, elles brandissent les paniers, et la troupe éclate en vivats.
Tu ne devrais pas te soucier de la ponctuation les points les virgules c’est du luxe ce n’est pas le moment tu as une heure une heure en tout…
Curieusement, à mesure que les mains impatientes décèlent les œufs versicolores, les cris s’éteignent, et les rires. L’on sait bien que ce n’est pas le total qui importe puisqu’à la fin tout sera partagé. C’est la merveille unique qui, d’un petit villageois empêtré d’humilité, fera deux jours durant le Prince quasi absolu du Château.
Je n’écris pas pour vous, je n’écris pour personne. C’est pour moi, pour moi. Alors, laissez-moi mettre la ponctuation. Même les points-virgules. Il disait, le maître, ce postillonneur : « Fais respirer tes phrases… »
Trouver l’œuf rouge : voilà le seul impératif, la seule nécessité, et bien des gamins dédaigneraient de ramasser les décevantes trouvailles si les servantes, attachées à leurs pas, ne tendaient aussitôt les paniers. Découvre-le, ce trésor infime caché par le Maître en personne, et tu seras le plus grand. Tu t’assiéras à la table du Seigneur, tu ordonneras, tu seras servi, tu régneras sur toutes choses…
Une heure passe, une deuxième, bientôt les cloches retentiront, tout proclamera la gloire du Christ. Dans le Parc, les enfants fouissent encore le sol illusoire, et certains désespèrent, au bord des larmes, d’autres ont abandonné…
Je ne sais pourquoi, plutôt que d’explorer, méthodiquement, une parcelle de terrain, j’avais choisi de reprendre les traces d’un garçonnet qui, dans sa fébrilité, « oubliait » un œuf sur trois…
Suppose que ta rédaction, ce n’est pas le mot bien sûr, soit imprimée : il faudrait tout revoir, mais cela n’intéresserait personne…
Je ne pouvais croire qu’il eût oublié aussi celui-là. Pourtant je le tenais, tous mes doigts étaient repliés sur l’œuf rouge. Nul ne m’avait vu le dénicher et je jouissais seul, immobile, de ma découverte. J’avais même fermé les yeux, et quand je les rouvris, une fillette me souriait, ma fiancée, disaient les autres…
La porte s’ouvrit, grinçante. Deux hommes, les mêmes, entrèrent dans la cellule. L’un -quel grade avait-il ?- se saisit des feuilles…

 Mais… qu’est-ce… QU’EST-CE QUE C’EST ? Les noms où sont les noms ? Ce n’est pas possible, tu es fou ! Tu es FOU !
Ils frappèrent de nouveau : leurs poings, leurs ceinturons, leurs bottes… « Crève ! Crève ! »
« Ce n’est pas moi c’est un autre que l’on tue… » Il y eut une espèce de lueur, une fillette s’avança : « Tu me le donnes ? Tu ne peux pas : on ne PEUT PAS donner l’œuf rouge. Tu es FOU ! » Ce fut tout, complètement. Ils déchirèrent les feuilles dont ils répandirent en riant les menus morceaux sur le cadavre du supplicié. Le stylo roula jusqu’à terre, et dans sa rage, l’un des bourreaux l’écrasa…

Le bonheur d’écrire
Le Matricule des Anges n°7 , février 1994.