Opposé à l’Ordre Nouveau instauré par Salazar -ce qui lui a valu quelques mois d’emprisonnement- sceptique quant au retour à la démocratie, Miguel Torga a toujours gardé un profil d’homme libre, charnellement épris de sa terre natale. Pour preuve : il continue de publier ses textes à compte d’auteur et de stocker ses livres fraîchement imprimés dans son cabinet d’oto-rhino-laryngologie. Dans son Journal, à la date du 21 novembre 1949, Torga inscrivit en lettres de plomb ce que pouvait être sa mission. « Etre écrivain, au Portugal, c’est être dans la tombe et gratter le cercueil ». C’est bien ce que les autorités lui reprocheront lorsque sortent en 1941 ses Contes de la Montagne. Il faudra attendre 1969 pour que la censure soit levée. Ces contes qui nous sont présentés (45 au total), écrits, revus et augmentés entre 1939 et 1980 dressent un constat plein de tristesse et de désolation d’une contrée laissée à l’abandon. Dans ce pays hostile, bordé de pâtures et de rochers, la misère est un air qu’on respire du matin au soir. « La société s’est jointe à la nature, et la loi s’est alliée au vent du sud pour dessécher les yeux et les fontaines », écrit Torga en préface. Les conditions de vie touchent au dénuement, et les destinées, telles qu’elles sont tracées, semblent guidées par un sordide pacte entre le Diable et la Providence. Histoires de lépreux, d’envoûtement, d’amours déchues, d’adultère, de frustation silencieuse, récits d’une banalité quotidienne : le temps est si figé, si peu fécond, que quelques pages suffisent à embrasser la vie entière de ces « montagnards ». Tendre et précise, la langue de Miguel Torga cherche pourtant le rêve, l’apaisement mais chaque fois, à bout de souffle, déshydratée, elle se cogne aux vitres d’une infatigable fatalité. A la lecture de ces bouts de vie cornés, on aurait envie de crier à l’imposture, tant la quote-part d’injustice consentie à ces hommes semble avoir été mal distribuée.
Contes et nouveaux contes
de la Montagne
Miguel Torga
traduit du portugais
par Claire Cayron
José Corti
345 pages, 140 FF
Domaine étranger L’Appel de la montagne
février 1994 | Le Matricule des Anges n°7
| par
Philippe Savary
Un livre
L’Appel de la montagne
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°7
, février 1994.