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Nouvelles Aux armes

mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11

Agé de 33 ans, Didier Quester habite dans la Sarthe où il enseigne le français dans un collège. Il a reçu l’an dernier le 1er prix du Festival de la nouvelle de Saint-Quentin. Il déclare aimer Maupassant, Hugo Claus, Flaubert, Zola et Modiano. Dernier livre acheté : Autres Journées de Philippe Jaccottet chez Fata Morgana.

Le 27 juillet 1830, aux ornières de Paris, un grand vieillard mal cravaté se hâtait lentement, s’appuyait aux murs tous les dix pas et reprenait aussitôt sa marche régulière. A mesure qu’il avançait, il entendait plus distinctement les cris lointains de la foule. Des coups de feu claquaient tout près, non qu’on eût commencé de braver la troupe, mais parce que des jeunes gens jouaient à faire trembler les enseignes et tuaient quelques vitres. A la vue du vieil homme échevelé, les étudiants en armes, qu’accompagnait une nuée de gamins déguenillés, se mirent à rire tant cette apparition avait, il est vrai, quelque chose de grotesque. Alors qu’ils se moquaient de lui et le hélaient, le vieillard essoufflé eut la naïveté de croire qu’ils l’avaient reconnu et l’acclamaient. Il voulut sourire : il grimaça, se tint le cœur et chancela.
D’autres jeunes gens et les ouvriers typographes d’une imprimerie voisine affluaient, armés de fusils, de pistolets ou de piques de fortune : on refaisait la Révolution. En marche vers le faubourg Saint-Antoine, on entonnait les vieux refrains. Poussé, écarté, bousculé, jeté contre un mur par la foule en marche, le vieil homme perdit connaissance.
« J’aurai raté jusqu’à ma mort », soufflait-il après qu’on l’eût transporté et précautionneusement alité chez son ami, le général Blein. On prenait garde d’étouffer tous les bruits, la moiteur de l’été y aidait heureusement. Madame Blein mère contenait jusqu’à la douleur ses quintes de toux. L’épouse du général tournait ses pages de la pulpe de l’index, au ralenti, quand bien même elle se trouvait dans son boudoir feurtré et que le malade, à l’étage, écoutait des cavalcades, revivait ses batailles, entendait des musiques chaotiques, celles, concassées par la fièvre, des opéras piteux qu’il avait composés. Mariette, l’énorme bonne en sueur, n’entrait dans la chambre du vieil homme qu’en avançant sur les talons ; respirant le moins possible, elle effleurait les meubles de son plumeau et n’osait appuyer ses regards sur le vieux clown blême agité de souvenirs tragi-comiques, grimaçant, souriant parfois, gémissant à nouveau. Je vais mourir, n’est-ce pas ?

 Ben oui, susurra Mariette, tout le monde il meurt, c’est la vraie justice.

 Mariette !
A voix basse, mais avec énergie, madame Blein, qui vient d’entrer comme un fantôme, s’indigne. Le malade cependant n’entend pas, il voudrait qu’on rassure sa mère : il va rentrer aussitôt, il voudrait que l’Empereur l’écoute, il dit « Je suis Rouget, Rouget de Lisle,vous entendrez parler de moi ».
Il eut des spasmes toute la nuit.
On reprocha beaucoup à Mariette de s’être laissée aller à dire des inepties. Elle en fut chagrin, non qu’elle se repentît, mais il lui semblait qu’en la grondant on commettait une injustice. D’ailleurs, les semaines qui suivirent devaient lui donner raison : la mort fit fort dans la maison : Madame Blein mère, d’abord, qui paraissait devoir tousser des années encore ; puis la générale, comme ça, sans prévenir ; Mariette elle-même, enfin, en couches, alors que nul n’avait jamais soupçonné son état, pas même elle, car elle ignorait tout, à dix-sept ans, de son corps.
Rouget quant à lui se remit bien de son agonie.
D’ailleurs, ce n’était pas sa première fausse sortie.
Les hommes l’avaient oublié, les femmes l’avaient méprisé, comment s’étonner maintenant que la mort le rejetât ?
C’était du moins ce qu’il disait à ses jeunes amis Béranger ou Nodier lorsqu’il voulait jouer au vieillard amer afin qu’on le plaignît ou, mieux, qu’on se permît doucement de le contredire : ne l’avait-on pas chanté sur les barricades de Juillet, ainsi qu’à l’Opéra ? Le duc d’Orléans, avant même qu’il ne fût proclamé roi, ne lui avait-il pas accordé une pension confortable ? Quant aux femmes… Elles avaient toujours aimé ses manières, ses grands yeux, ses gestes brusques, maladroits, touchants, ses mines ténébreuses et ses éclats de voix parfois, ses indignations d’honnête homme mal embouché… A cela, Rouget répliquait qu’on échoppait sa destitution, sa proscription, son arrestation à Saint-Germain, le dédain de Bonaparte, la haine de Carnot, le mépris du roi, les infamantes accusations portées contre lui, son incarcération, à soixante-six ans, à Sainte-Pélargie et, surtout, quarante années misérables, quarante ans d’errance. Il avait voulu mourir, l’oubliait-on ? En le flattant, on le fâchait ; on l’humiliait en le plaignant.

Aux armes
Le Matricule des Anges n°11 , mars 1995.