Robert Gordienne a un joli talent, qui mériterait d’être forcé. Les deux ouvrages, un roman et un recueil de nouvelles, qui paraissent aujourd’hui, ont en commun le caractère médiocre des personnages et une ambiance oscillant entre le noir et le « blues » - les histoires se déroulent aux Etats-Unis.
Le Retour du contrôleur fait suite au Contrôleur du Rialto, le premier roman de Gordienne, paru en 1986 chez Robert Laffont. Robert McHarrel y raconte sa vie plate de contrôleur de tickets au cinéma Le Rialto de Sunrise. Débit de méchancetés sur son entourage, y compris sur Joyce, sa compagne, description d’un univers lui-même mesquin. Il en a d’ailleurs fait un livre prêt à être publié, et le lecteur assiste à l’attente angoissée de sa publication, laquelle entraîne quelques fâcheries prévisibles. On se laisse bien emporter par ce mélange codé et efficace de brusques loghorrées socio-politiques, de piques ignobles et de gémissements sur soi : « La douleur prenait alors la dimension de la faillite d’un système passant à présent pour unique modèle. Le mollusque de Joyce était vraiment peu de choses par rapport à ce que je croyais cerner, là, sous mes yeux, et la force me manquait pour maudire le mauvais sort. »
Les Cacous - recueil de cinq nouvelles - est moins bon, mais original. Ce n’est plus un personnage central qui est minable, bête et méchant, mais, dans quatre des cinq nouvelles, un couple d’amis. Amitiés ratées, faussées depuis l’enfance, débouchant sur la trahison et l’oubli hypocrite, « s’achev(ant) en eau de boudin ». La déclinaison du thème est certes un peu trop répétitive, mais a le mérite de dérouter le lecteur. Qu’ont trouvé les personnages dans ces amitiés dépareillées, où ils ont apporté souvent toute la misère de leur solitude et le talent de leur mesquinerie ? Un contact vrai a-t-il eu lieu ? La réponse, tendant vers la négation noire, reste pourtant suspendue, troublante comme un « blues ».
Le Retour du contrôleur et
Les Cacous
Robert Gordienne
Editions Méréal
166 et 126 pages, 95 et 86 FF
Domaine français Le talent de la médiocrité
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Karine Gantin
Le talent de la médiocrité
Par
Karine Gantin
Le Matricule des Anges n°11
, mars 1995.