Sabotage olympique est à l’origine une commande du journal italien La Stampa qui attendait de Vásquez Montalbán un compte-rendu quotidien des Jeux olympiques de Barcelone. Il en a fait un « roman baroque ». Quand on sait ce qu’il pense (et pensait déjà) de ces Jeux, il ne faut pas s’étonner qu’il ait placé son entreprise sous le signe du sabotage. Mais ce qui pourrait sembler n’être qu’une énorme farce prend tout son sens quand il en explique le projet : « C’est un peu un retour à mes origines de romancier d’avant-garde. J’ai utilisé la dérision pour rendre compte d’une réalité dérisoire. ».
La période avant-gardiste de Vásquez Montalbán c’est celle du Manifeste subnormal (1970). Il y proclamait « l’obligation d’écrire depuis une subnormalité produite par les restrictions culturelles du franquisme ». Une subnormalité ? Oui, « une sensation de stupidité collective et de sous-développement mental ». S’il faut renouer aujourd’hui avec les mots d’ordre du Manifeste subnormal, c’est parce que l’Espagne postfranquiste est, elle aussi, tombée dans un état de subnormalité qui lui est propre. En 1992, elle rêvait (mais s’est-elle vraiment réveillée aujourd’hui ?) d’un devenir européen dont elle n’avait pas les moyens et tentait de donner réalité à son rêve par les « mises en scène théâtrales » des Jeux olympiques et de l’Exposition universelle. Le projet deSabotage olympique est de ruiner l’une de ces mises en scène.
Aucune vraisemblance n’est exigée. L’univers carnavalesque qu’y construit Vásquez Montalbán relève quasiment, par sa folie et par la vitesse à laquelle les événements s’y déroulent, du dessin animé. L’histoire ne relève plus vraiment du genre policier. Plus que le dix-septième roman de la série des Carvalho (le héros récurrent), c’est un Carvalho hors-série. Et pour cause. Sabotage olympique est un espace expérimental, une sorte de champ de forces dans lequel il n’y a plus de frontière entre le réel et l’imaginaire : Boutros Boutros-Ghali, le secrétaire général des Nations Unies peut y parler cuisine avec Carvalho. Toute une pratique du collage et du « métissage » héritée de l’époque du Manifeste subnormal sous-tend Sabotage olympique qui est l’une des plus étonnantes entreprises de brouillage idéologique et esthétique d’une réalité politique que l’on ait jamais imaginée. Mais Sabotage olympique peut aussi être lu comme un pur divertissement. Tout comme il est aussi possible de prendre Tex Avery pour un cinéaste expérimental et politique.
Sabotage olympique (traduit de l’espagnol par Claude Bleton)
Christian Bourgois 166 pages, 90 FF
Domaine étranger Subnormalité olympique
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Christophe David
Un livre
Subnormalité olympique
Par
Christophe David
Le Matricule des Anges n°12
, juin 1995.