Philippe est né le 7 février 1994 à Dijon -clinique Sainte-Marthe. Le lendemain, je suis allée avec Yves, son père, le voir à la morgue« , lit-on dans le premier chapitre de Philippe intitulé »Souffrir". Philippe est le fils mort-né (il a vécu exactement deux heures et dix minutes) de Camille Laurens. La mort aurait pu être évitée. L’obstétricien qui a procédé à son accouchement n’est pas intervenu quand il le fallait.
Même si « le malheur est toujours un secret », parce que les mots restent en deçà, Camille Laurens s’est mise à écrire : c’est son seul moyen de défense. Elle décrit avec précision, dans le chapitre intitulé « Comprendre » le déroulement de son accouchement, et notamment l’évolution du rythme cardiaque de l’enfant, qui, mis en perspective avec des extraits du rapport d’expertise, accable l’action, ou plus exactement l’inaction de son médecin. Il faut malgré tout continuer à « vivre », titre du chapitre suivant, où elle cite les différentes réactions des autres après cette mort, réactions peu courageuses en règle générale. Enfin, le verbe « Ecrire » ouvre le dernier chapitre. « On écrit pour faire vivre les morts, dit-elle, et aussi, peut-être, comme lorsqu’on était petit, pour faire mourir les traîtres. » Philippe transmet au lecteur le dégoût de ces « traîtres », médecins suffisants, incompétents, meurtriers. Mais dans les quelques pages finales, une conception de l’écriture s’exprime aussi. « Pour soigner comme pour écrire, il faut avoir un regard aigu, une sensibilité aux signes les plus subtils et une grande capacité à les réfléchir » Le livre aurait pu s’achever sur un chapitre intitulé « Publier ». Pourquoi Camille Laurens a-t-elle décidé, hormis pour « rendre justice », de publier ce texte, éminemment -mais presque forcément- bouleversant ? Et par-là même de l’intégrer à son œuvre, qui comptait jusque-là trois romans sans aucun caractère autobiographique ? Parce que Philippe -nous le disons au risque de choquer- est aussi un superbe texte littéraire, qui exauce le vœu de Camille Laurens : « Pleurez, vous qui lisez, pleurez : que vos larmes tirent (Philippe) du néant. »
Philippe
Camille Laurens
P.O.L
73 pages, 60 FF
Domaine français Mort d’un enfant
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Christophe Kantcheff
Un livre
Mort d’un enfant
Par
Christophe Kantcheff
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.