Né en 1928, poète, romancier, essayiste, fondateur d’un groupe de réflexion sur la politique culturelle, fervent défenseur de la librairie et du livre (Éloge de la librairie avant qu’elle ne meure, 1988), Baptiste-Marrey est surtout connu pour Les Papiers de Walter Jonas (1985), sorte d’épopée romanesque qui déploie ses cinq cents pages autour d’un compositeur imaginaire.
À lire comme la continuité de son Carnet grec paru en 1986, ces Carnets des îles présentent un ensemble de notes prises en Grèce et à Chypre à l’aube de l’été 1994, ainsi que des poèmes des années 1990/1991. Le lecteur y (re)trouvera, outre la présence des îles (après Venise, l’île des morts, 1984, et Les Sept Iles de la mélancolie, 1991), le goût de Baptiste-Marrey pour le fragmentaire.
Dans ces nouveaux Carnets, la prise de note lui permet surtout d’appréhender la réalité dans ce qu’elle offre de plus divers, comme si le voyageur avait à charge d’inventorier, et de manière exhaustive, tous les éléments qui s’inscrivent dans son champ de vision. C’est donc à la manière d’un archéologue qu’il explore les replis du réel, visite les anfractuosités, scrute les ruelles désertes, n’hésite pas à retourner la carcasse d’un autocar anglais (comme pour ne rien négliger), avant de réaliser la « fusion fugitive d’éléments hétéroclites en une seule image ». Mais il arrive que le regard perde de son acuité, ou se laisse simplement séduire par la beauté du décor, et inflige en retour au lecteur de ces images racoleuses qui font la fortune des agences de voyage : « Maisons blanches, volets bleus, quelques vieilles sur leurs chaises ».
La quête de Baptiste-Marrey a pourtant peu à voir avec le rêve, et si l’exotisme affleure parfois dans ces Carnets, c’est qu’il est difficile d’éviter l’« effet de réel » produit par certains termes à la coloration vraiment locale (comme le retsina et les souvlakis des tavernes chypriotes et athéniennes). Car au-delà de ces instantanés qui mitraillent le réel, au-delà de la note qui saisit la réalité dans ce qu’elle a de fugitif et d’immédiatement préhensible, peut-être aussi de plus authentique, c’est surtout la vérité de l’Autre qui occupe Baptiste-Marrey : « La mission du poète (ou du philosophe) est toujours de reconnaître et de comprendre la légitimité de l’autre ». Le carnet s’offre ainsi comme l’arme idéale pour répertorier les singularités d’un autre monde, percer la survivance des mythes, observer le comportement des anachorètes de Kourion, avec un voyeurisme candide, restituer l’atmosphère d’un bouquiniste de Plaka (quartier commerçant d’Athènes) ; ou décrire, à l’imitation de Renan dans sa Prière sur l’Acropole, l’émotion du voyageur face au Parhénon : « On a beau savoir, on a beau être déjà venu(s), et avoir lu et entendu, (…) la surprise et l’émerveillement restent aussi forts ».
En d’autres termes, l’écriture se fait ici lecture du monde, ou plus modestement tentative de lecture, pour déceler l’essentiel, sous la gangue des gestes quotidiens : la confluence des civilisations, des religions et des peuples dans un art de vivre qu’on aimerait dire déjà de l’Orient. Et par une sorte d’effet miroir immédiat, la dénonciation de ce qui ronge l’Occident : « Plus de regard solaire sur la vie et sur la mort, mais notre délectation maniaque, freudienne ». Un livre délicat, qui associe à la légèreté de la note la profondeur de la méditation, et qui offre aux différences l’hospitalité la plus noble et la plus sincère : celle de l’esprit.
Carnets des îles
Baptiste-Marrey
Le Temps qu’il fait
124 pages, 92 FF
Domaine français Les papiers de Baptiste
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Didier Garcia
Huit ans après son Carnet grec, Baptiste-Marrey nous propose une nouvelle exploration du monde hellénique. Une grande leçon de tolérance.
Un livre
Les papiers de Baptiste
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.