Trois histoires au moins, composent le roman de Steinunn Sigurdardottir, Le Voleur de vie : la première raconte la liaison d’Alda, professeur d’allemand et d’anglais dans un lycée de Reykjavik, avec le professeur de latin, marié et père de trois enfants. Après une soirée arrosée lors de laquelle Alda fait part à son amant de sa volonté irrévocable de rompre, ce dernier se noie sur le chemin qui le ramène au foyer. Alda, qui n’a jamais voulu que son amant quitte ses enfants pour venir vivre avec elle, fait de ceux-là des orphelins le jour où elle décide de leur rendre à plein temps leur père. Le livre aurait pu avec humour et tristesse fouiller la crauté du sort, les conséquences imprévisibles des décisions humaines. Mais très vite, surgit un professeur d’histoire qui comme une puissante gomme va éliminer de la mémoire d’Alda les eaux froides où elle a perdu son latiniste. C’est quoi qu’il en soit toujours de la vie d’Alda dont il est question dans ce livre.La deuxième histoire est la mort de la sœur d’Alda, Alma, frappé par un cancer véloce. Au tout début de la maladie, Alda accompagne Alma vers son devenir sans détour, sur la falaise étroite, abrupte, où s’achève précipitamment sa vie. Mais la mort d’Alma est couverte d’une discrétion très peu trahie : elle est effacée par la troisième histoire, celle d’une rupture jamais acceptée. En effet, toute son énergie, pendant les sept ans qui composent le livre, Alda les consacre presque exclusivement à honorer les 100 jours que dura sa liaison avec le gros nounours pataud, le professeur d’histoire puis ministre de l’éducation du gouvernement islandais (le pays ne comptant guère plus de 200.000 habitants, le risque d’être ministre est 300 fois plus élevé qu’en France !). Car ce professeur a su, on l’aura compris, revenir définitivement et sans se noyer, auprès de sa femme légitime.
Ce livre est le premier roman publié par Steinuun Sigurdardottir, écrivain et traductrice islandaise, connue jusqu’alors dans son pays pour ses poèmes. Il est d’ailleurs écrit en prose et en vers, joignant les formes pour ne constituer qu’une longue lettre adressée à l’absent, de plusieurs villes de la planète. Cela donne parfois le pire (« Ointe que je suis des onguents de l’espoir ») ; parfois c’est bien meilleur (« Je ne devrais jamais sortir seule le soir dans ce quartier. Cinq cents tonnes de sucre y sont raffinées chaque soir ».) La plupart du temps, c’est entre les deux, plutôt vers le moins bon, et si nous pouvons au bout du compte être indulgents, c’est parce que le livre s’apparente à ce point à un journal, à une confession, à une parole spontanée, parce que les faiblesses d’écriture deviennent les signes probants de la fadeur des jours ; ils servent ainsi le dessein de l’auteur de nous faire partager sa vie désolée et blanche.
En fait, il est tout à fait possible d’envisager une quatrième histoire, liante, implicite : Alda avoue être dégoûtée à l’idée d’avoir un enfant, par le fait physque d’enfanter, ce qui la conduit à n’aimer que des hommes mariés, à vivre dans l’entre-deux onirique des histoires, dans la chapelle ardente d’amours défuntes et peu crédibles. Elle régresse vers un fétichisme puéril qui l’amène à voyager avec une énorme peluche supposer pallier l’absence de son ex-futur ministre calin. Alors Le Voleur de vie est celui qui ne peut la donner ; qui tourne sept ans dans sa langue un bout de sa réalité.
Le Voleur de vie
Steinunn Sigurdardottir
Traduit de l’islandais
par Régis Boyer
Flammarion
213 pages, 100 FF
Domaine étranger Les obsessions dangereuses
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Christophe Fourvel
Sept ans à ressasser une brève histoire d’amour. Alda, l’héroïne islandaise, a la patience de Pénélope. Mais la vie sans chair est désespérante.
Un livre
Les obsessions dangereuses
Par
Christophe Fourvel
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.