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Poésie La poésie fraternelle de José Angel Valente

juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16 | par Marc Blanchet

Des poèmes galiciens de Chansons d’au-delà aux notes et conférences de Lecture à Tenerife, l’espagnol JosAngel Valente invite à un banquet de couleurs et de pensées. Sensualité et réflexion pour deux publications.

Chansons d’au-delà

Lecture à Tenerife

La publication de Lecture à Tenerife est un exaucement pour les amoureux de l’œuvre de José Angel Valente. « On n’arrive à être écrivain que lorsqu’on commence à avoir un rapport charnel avec les mots », affirme le poète espagnol. Affirmer est le verbe exact. Si la pensée exposée par Valente à propos de son écriture dans ce livre n’est pas didactique, sa vitalité n’en est pas moins de dire avec une véritable autorité l’expérience de la poésie. Le recueil Chansons d’au-delà permet de savourer, comme traduites de la réflexion de l’auteur, des images riches en couleurs et en accents du sud.
Dans Lecture à Tenerife (Tenerife : « la plus grande île des Canaries, sol volcanique très fertile : vigne, agrumes, tabac - tourisme actif », dixit le dictionnaire Hachette), Valente propose, avec une amabilité qui transparaît dans le texte, de mieux pénétrer à l’intérieur de son univers, de ses méditations. Sa définition de la poésie est franche et ouverte : « Je commencerais, dans cette proposition d’approche, par dire que la parole que nous voudrions aborder est d’une telle nature qu’elle ne contient (du moins au sens normal du terme) aucune information. Parole, en effet, qui ne reconnaît aucune finalité et ne se soumet à aucune intention. À proprement parler, elle ne communique pas mais convoque ou appelle à l’intérieur d’elle-même. Ainsi, la poésie devient, est, fondamentalement, expérience de l’intériorité de la parole ».
Cette approche de la parole, Valente la décline de différentes manières dans ce livre. D’abord dans le texte générique, mais aussi, dans Notes d’un simulateur (publié par La Main de singe dans son numéro 15 sur l’Espagne), Valente prend position en faveur d’une poésie tournée vers le chant : « Le chant de l’oiseau est liquide. La parole poétique ne se reconnaît également qu’à son flux. » Si les poèmes de Valente ne sont pas toujours brefs, ils gardent dans leur aspect franc, direct et souvent âpre, une nature aphoristique. Décliner une sensation, exprimer une vision n’a de valeur que dans un cadre formel précis, un rythme caractéristique et évident. Cette nécessité de l’évidence, et non de la simplicité, Valente la prouve par ses écrits. Le poète est de ce fait, puisqu’il remet ses frères humains en question, un exclu. « Le poète, en réalité, n’a pas de lieu qui lui soit propre. C’est un oiseau extra-muros. Il a été chassé de la cité -pour des motifs amplement justifiés- par un célèbre humoriste antique. Oiseau rare, le poète. Il en naît régulièrement un chaque année bissextile. Il ne semble pas être fait pour l’Académie. Comme l’a su, chez nous, Juan Ramon Jimenez. « Mettre un poète à l’Académie »,a-t-il écrit, « C’est comme mettre un arbre au ministère de l’Agriculture. » L’humour de Valente permet d’accéder à des évidences qui donnent toute leur valeur au langage et à ce jeu de mots profond, parce que subtil, que représente la poésie : « Sous la lumière tardive de ce printemps mouillé nous assaille un heureux essaim de pensées. Par exemple : être atterré c’est être complètement rempli de terre ».
En se racontant devant des lecteurs à Tenerife (à lire ce texte, on se sent parmi eux comme un privilégié), Valente montre les différents moments d’une création, dictée par la vie intérieure, mais aussi, caractéristique de cette œuvre, attentive aux événements historiques. Avec des poèmes extraits d’Intérieurs avec figures (1976), Material Memoria (1978), Trois Leçons de ténèbres (1980), L’éclat (1983), Mandorle (1982), tous parus aux éditions Unes, le lecteur peut apprécier le parcours d’un artiste dont la poésie chantante, sensuelle est l’une des plus belles venue d’Espagne. Le poème, dans la pensée de Valente, propose »trois cycles de descente« (ce terme étant celui de la descente dans l’intériorité) : le cycle de la descente dans la mémoire personnelle, le cycle de la descente dans la mémoire collective, et le cycle de la descente dans la mémoire de la matière, la mémoire du monde. Le long poème Sur le Temps présent unit les deux premières : « J’écris à partir de nos os/ que lavera la pluie,/ à partir de notre mémoire/ qui sera joyeuse pâture des oiseaux du ciel./ J’écris de l’échafaud/ maintenant et à l’heure de notre mort,/ car de toute façon nous serons exécutés./ J’écris, mon frère d’un temps à venir,/ sur tout ce que nous sommes au point de n’être pas,/ sur la foi sombre qui nous porte. / J’écris sur le temps présent. »
Cette fierté intelligente de l’homme face à une mort qu’il sait inéluctable sous-tend toute une poésie et une poétique. Leur fermeté affirme la virilité et la liberté de l’artiste devant la bêtise des systèmes. Elle n’est pas en lutte, elle a choisi un autre camp : celui de ces »descentes« , celui de l’accession, ou de l’effleurement, de l’être. Le troisième cycle évoqué par Valente devient prépondérant. C’est celui du corps, du rapport charnel : de l’Éternel Féminin, exprimé dans dans son essence, sans reniement du chant ou de l’extase. La poésie de Valente est en ce sens webernienne : cristalline parce qu’aphoristique, intense parce qu’intérieure. Elle met en avant les vérités cachées dans la Nature et l’expérience pour authentifier la vie.
Le deuxième livre,Chansons d’au-delà, concrétise cette vision des choses. L’homme est un être de langage mais le langage, les mots, ne sont pas une expression austère de sa nature : ils se répondent dans l’air du soir comme les parfums et les sons. Autant les analyses, les références de Lecture à Tenerife donnent un ensemble plus »réfléchi", autant dans ces chansons, ces cantigas, on peut goûter directement au pouvoir des mots. Le mot est illumination : « Ils se lèvent les mots/ comme d’au-delà d’un rêve/ d’au-delà du temps et de l’éveil./ Des mots tardifs encore à naître/ assiègent mes lèvres/ quand tombe le soir./ Moisson, les mots,/ de quelle profonde semence,/ferment/ de quel pain ». L’aspect musical, et surtout oral, de ces chansons-poèmes traduites du galicien rappelle toute une tradition espagnole, que d’autres pays vécurent à leur manière : les Allemands avec le lied, les Français avec la mélodie et les Anglais avec les songs. Difficile de ne pas entendre un air de musique dans ce poème : « Aujourd’hui lundi que j’éprouve une tristesse/ tiède et officinale/ comme feuille d’automne,/ j’ai soulevé mon corps tant bien que mal/ et n’ai inspiré avec l’air/ que des anges d’oubli./ Hélas, aujourd’hui, mon ami,/sur le marbre blanc de cette table de café/ de l’autre côté de l’enfance/ tant de visages m’ont fixé/ sans me voir./ Celui qui/ peut leur donner encore un nom, c’est moi. » Adresse à l’ami, souvenirs de la bien-aimée, beauté des corps, richesse des mots, perception de mondes invisibles : qui peut chanter cela sinon le poète ? Ce rôle échu à de rares hommes, Valente en est l’un des plus dignes représentants.

Chansons d’au-delà
et Lecture à Tenerife
José Angel Valente

Traduit du galicien
par Jacques Ancet
Editions Unes
76 et 44 pages, 87 et 75FF

La poésie fraternelle de José Angel Valente Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°16 , juin 1996.