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Domaine étranger Un regard qui éclaire

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Thierry Guichard

Romancier et essayiste John Berger, par la qualité de sa prose et celle de son attention portée aux choses, réhabilite une littérature libératrice.

Fidèle au rendez-vous

On ne s’étonne plus guère de voir des mannequins ou des chanteurs s’exprimer sur tout (et souvent n’importe quoi). En revanche, lorsqu’un micro est tendu à un écrivain afin qu’il donne son avis sur un sujet, le malaise est plus grand : comment un écrivain qui se meut dans l’imaginaire peut-il avoir un avis sur la réalité ?
Fidèle au rendez-vous de John Berger devrait permettre que l’on inverse la question et qu’elle s’énonce alors ainsi : comment se fait-il que l’on n’interroge pas plus souvent les écrivains ? Car la lecture de ces chroniques publiées dans des journaux britanniques, américains ou néerlandais est une source à la fois d’éclaircissement (sur la vie), de bonheur (d’écriture) et de partage (ontologique). Qu’il évoque le cinéma, Paris, la mort de sa mère, un tableau de Vélasquez, Pollock ou Picasso, Berger reste toujours au plus près de l’expérience humaine. Ainsi, n’hésite-t-il pas à évoquer des parts intimes de sa vie plus pour les donner en partage que pour illustrer son propos. Les essais de John Berger sont donc entièrement habités et ne nécessitent pas de préalables à leur lecture ; il est inutile d’avoir lu tous les philosophes et vu tous les peintres pour comprendre. John Berger a cette faculté de donner sens et chair à une idée, de la faire apparaître dans une totale clarté. Et même lorsqu’il ébauche une philosophie du temps, ce qu’il donne à lire possède la simplicité de la discussion et la profondeur d’une pensée rigoureuse. Chacun de ces textes nécessiterait que l’on s’y arrête, alors qu’on ne peut qu’encourager le lecteur à y aller voir. Avec, comme meilleur argument à avancer, le fait que cette pensée est libératrice. Un seul exemple : Un tas de merde fustige la propension des « élites » (avec Milan Kundera en figure de proue) à répugner à la pratique de chier. Réaction de Berger qui évoque l’odeur de la merde : « …cette odeur n’a rien à voir avec la honte, le péché ou le mal, contrairement à ce qu’a toujours enseigné, cohérent avec lui-même, le puritanisme qui a horreur du corps. Les excréments sont couleur d’or patiné, brun foncé et noir, les couleurs mêmes dont Rembrandt a peint Alexandre le Grand sous son heaume » et, plus loin, cette remarque qui éclaire tout le livre : « Comparée au chant transparent des oiseaux notre parole est opaque parce que, contrairement à eux qui sont la vérité, nous sommes obligés de la chercher. »
Il sera simple ensuite pour le lecteur de passer de ce recueil d’essais au roman que l’auteur publie simultanément. Il suffit d’emprunter la moto dont il est question dans Quelle vitesse ? et le lecteur se retrouve à l’arrière de la Honda qui traverse la France et l’Italie dans Qui va là ?
Au guidon de la belle machine Jean Ferrero file vers le mariage de sa fille Ninon qui est tant amoureuse de Gino que parfois ses « genoux feront un pli et le pli sera un sourire ». La mère de Ninon, elle, arrive de Bratislava en autocar. L’amour l’avait arrachée à son pays, l’Histoire l’y a ramenée. Et « bien qu’elle soit petite et légère comme un oiseau, son regret et son désespoir sont immenses. » Parce que Ninon, au moment où elle rencontrait son futur mari, apprenait également que le sida s’était installé en elle. L’amour de Gino, ce sera de la prendre pour femme, et au mariage, de la faire danser et plus tard « Gino la poussera dans un fauteuil roulant » et plus tard encore « Pour mettre quelques gouttes d’eau dans sa bouche désséchée, il faudra qu’il utilise une seringue. » Qui va là ? est un grand livre d’amour où John Berger, en utilisant le futur, offre un avenir sans promesse, mais un avenir tout de même aux amoureux. C’est aussi une traversée de l’Europe sur laquelle enfin le regard porté considère les êtres humains un à un dans leur singularité. C’est donc aussi un livre libérateur.

John Berger
Fidèle au rendez-vous

Champ Vallon
Traduit de l’anglais par Michel Fuchs et Mireille Gouaux
252 pages, 138 FF
Qui va là ?
Éditions de l’Olivier
Traduit par Élisabeth Motsch
202 pages, 110 FF

Un regard qui éclaire Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.
LMDA papier n°18
6,50