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Égarés, oubliés Un Lautrec peut en cacher un autre

juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20 | par Éric Dussert

Gabriel de Lautrec est le disciple oublié du grand Alphonse Allais. Chroniqueur, traducteur et poète, il fut aussi un franc rigolo.

Il était une belle époque où les journaux revendiquaient La Vie drôle. Un beau regret auquel nous convoque Gabriel de Lautrec, confrère oublié de Georges Courteline et d’Alphonse Allais. Écrasé par l’homonymie d’un peintre fameux, il est tenu à distance par la Littérature qui ne fréquente pas les olibrius. Ce fantaisiste 1900 fut pourtant un excellent poète en prose qu’on a salué comme un nouvel Aloysius Bertrand. À l’heure où l’on redécouvre les contes de Marcel Schwob et d’Alphonse Séché, son oeuvre composée de poèmes oniriques, de récits cauchemardesques et de chroniques légères vaut qu’on s’y arrête.
Gabriel de Lautrec est né à Béziers le 21 février 1867. Il apparaît à Paris en 1889, svelte et élégant, portant monocle -il est vicomte- et fumant le cigare. Répétiteur dans un lycée parisien, il fréquente les brasseries littéraires du Quartier latin et fait la rencontre d’Alphonse Allais au Chat noir, le cabaret montmartrois. Il obtient sa licence ès Lettres et publie le recueil de Poèmes en prose (1898) qui lui ouvre les portes du Tout-Paris littéraire. Pour preuve, Clovis Hughes donne dans Le Chat noir en juin 1890 un « Rondeau d’acceptation » : « Serai compaing à vostre beuverie,/ Avertissez du dit faict, vous en prie,/ Gentils amis du divin Rabelais. » Il est dès lors de la bande à Goudeau.C’est la grande époque des canulars et des virées sans fin. Paul-Jean Toulet note ses frasques nocturnes au Bois de Boulogne où il jette à l’eau des chaises « pour que les poissons puissent s’asseoir ». Le dessinateur Joseph Hémard le caricature en pleine observation de gidouilles célestes… Et dans une lettre à Alphonse Allais1 Gabriel de Lautrec écrit : « Je meurs encore de joie (tant que je vivrai, je mourrai de joie) au souvenir de nos conversations sur la linguistique comparée. » Rédacteur en chef du Chat noir, Allais publie dès 1889 son « Bon candidat » puis une fantaisie dont l’exergue de Bossuet reste un modèle d’éloquence : « Ah zut, alors ! dit la jeune fille ». Dans le même temps, de Lautrec tient salon à Passy où il reçoit Jean Lorrain, Willy, Jean de Tinan, Alfred Jarry, Oscar Wilde et Paul Verlaine. Il avait rencontré ce dernier « un soir, devant un café, naturellement, rue Soufflot. Un homme de cinquante ans, fatigué, traînant la jambe, mais fier. Et une vraie tête de faune » 1 À la mort du poète, de Lautrec veille son corps. Il avouera dans ses mémoires le larcin d’une mèche de cheveux.
Auteur apprécié, il publie dans le Gil Blas illustré, Le Rire, le Cocorico… et lance avec Gus Bofa et Roland Dorgelès La Petite Semaine, « le seul quotidien hebdomadaire du monde entier » à l’ « allure débridée, (la) note primesautière, (la) douce loufoquerie ». Sur les conseils de Marcel Schwob, autre rencontre de café, il entreprend la traduction des contes de Mark Twain qui paraissent en 1900 équipés d’une Définition de l’humour de son cru. De Lautrec théorise, comme dans Comoedia où il déclare en 1923 : « L’humoriste est un poète, un poète, si l’on veut, prudent, qui a bien tourné. » Il a « le souci de l’expression pittoresque imprévue ». Mais surtout il pratique. « J’ai été secrétaire de Paul Fort, dit l’un de ses personnages. On m’a remercié parce qu’un jour j’avais laissé une parenthèse ouverte toute la nuit. » Parmi ses titres de gloire, il faut noter la fondation en 1920 de l’Académie de l’Humour avec Curnonsky et Courteline et la parution deux ans plus tard, de son « roman d’aventures passionnelles et météorologiques » bourré de calembours qui dévoile l’authentique fils du capitaine Nemo. Ce livre, Le Serpent de mer, lui vaut l’hommage de son confrère Georges Fourest : « J’ai lu, Gabriel de Lautrec/ et relu ton Marin reptile./ Sur la grève à Perros-Guirec/ J’ai lu Gabriel de Lautrec/ Parmi l’embrun et le varech/ Quel parfum son style distille ! » 1En 1929, de Lautrec prend sa retraite de professeur de latin à Marseille puis revient à Paris, malade et dépité. Il n’a pas connu de véritable consécration. Candidat malheureux à l’Académie française en 1923, il obtient la légion d’honneur en 1936. Une récompense qui compte moins que l’installation de son buste au Salon des Humoristes de 1920. Il venait d’être sacré Prince des humoristes à une époque où cette distinction était en vogue : il y eut un Prince des poètes (Paul Fort), un Prince des conteurs (Han Ryner), un Prince de l’épouvante (André de Lorde), le Prince des humoristes et, pour consoler son compère Curnonsky qui avait manqué le titre, un Prince des gastronomes. Mais il n’avait pas inventé, lui, le mètre en caoutchouc et le procédé d’imperméabilisation du papier buvard !Lorsque Gabriel de Lautrec meurt le 25 juillet 1938, les nécrologies soulignent en choeur La Vengeance du portrait ovale. Son meilleur livre, à la croisée du roman noir et de la science-fiction. C’est également une Arlésienne, un volume aussi rare qu’étourdissant. Certes il sent l’opium, mais de Lautrec ne le cache pas. Dans ses Souvenirs des jours sans soucis, il relate même une expérience de 1893. En « vacances dans le Midi, j’essayai d’écrire sous l’influence du haschich. J’étais assis à une table sur laquelle il y avait un paquet d’enveloppes.(…) J’accouchais d’une sorte de poème en prose dans lequel il y avait des images extraordinaires, des phrases poétiques mêlées à des évocations grotesques et à des absurdités. » Tout dans ses « contes magiques » a pris un goût bizarre, un air de Grand-Guignol. Le Bocal vert notamment où l’on découvre un collectionneur de bocaux. « Les tripes dont je vous parlais tout à l’heure (…) ont été mises dans l’eau de vie. Ce spectacle me rappelle la fragilité de notre nature, et je songe, avec un certain ennui, qu’un jour je mourrai, quoique pharmacien ». Ce qui pourrait être un mot d’Allais, apothicaire lui-même. Salué pour ses talents de conteur et la vigueur de son imagination, Gabriel de Lautrec doit son plus bel hommage à Jean Ray qui écrivait à propos de La Vengeance du portrait ovale : « Le talent de Gabriel de Lautrec est polychrome. (…), ces histoires-ci éveillent le merveilleux frisson de la peur. (…) Il m’a semblé sentir autour de moi le fantôme goguenard de Mark Twain, l’ombre hallucinante d’Edgard Poe, l’imagination conteuse de Wells, le cynisme intermittent de Pierre Mac Orlan et même l’inquiétant génie de Maurice Renard. »* Bref, une ferme incitation à la lecture.

Éric Dussert

* Nous devons remercier ici François Caradec qui en nous ouvrant ses archives a permis la rédaction de cet article.

Un Lautrec peut en cacher un autre Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°20 , juillet 1997.