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Poésie La peau de la poésie

juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20 | par Emmanuel Laugier

Christian Doumet et François Boddaert interrogent les conditions d’une poésie actuelle : un livre à deux voies qui entend montrer ce qu’elle remet en question et ce qui la met, économiquement, en question…

Propos et billevisées d’un entrepreneur en poésie (suivi de) Pour affoler le monstre

Quelques semaines avant le redressement judiciaire de Maxi-Livres, et celui du distributeur Distique et du diffuseur Ulysse (ce qui concerne au premier plan les éditions Obsidiane), paraissait un essai sur l’état de la poésie actuelle. La première partie du livre, Pour affoler le monstre, est constituée de l’analyse de Christian Doumet, poète né en 1953 et universitaire à Paris VIII, sur quelques unes des impostures et la nécessité de redéfinir un jugement poétique. La seconde partie, Propos et billevesées d’un entrepreneur de poésie restitue les propos, presque prophétiques, du fondateur des éditions Obsidiane, François Boddaert, sur ce qui, de jour en jour, exclue la poésie des librairies, du système économique du livre et, finalement, des lecteurs éventuels. D’une part critique interne de la poésie, de l’autre critique et réponses à tous ceux qui sont responsables, par démission et résignation, de ne plus défendre les réseaux nécessaires à son existence, ce livre est une résistance à la fadeur…

Christian Doumet, Pour affoler le monstre est sous-titré « Preuves et épreuves d’une poésie actuelle ». Qu’entendez-vous par ces deux termes ?
Le mot « preuves » tente de répondre à une sorte de grand lieu commun actuel selon lequel il n’y aurait plus de poésie aujourd’hui. Il ne s’agit pas de répondre qu’il y a encore une petite poésie existante, mais de montrer l’absurdité et la prétention de ceux qui se croient à même de juger que la poésie va disparaître. Pour le mot « épreuves », il y a à montrer que la poésie se confronte à des épreuves qui sont typiques de notre temps. C’est aussi une façon de rappeler que c’est à partir de ses épreuves que la poésie s’éprouve. Le vers, par exemple, est une épreuve de la poésie, dans le sens où la pratique poétique définit dans la langue commune son matériau, qui est à la fois sa propre résistance et sa création.

Vous partez d’un constat : il y a, semble-t-il, un fossé entre « le silence ancestral de l’écriture » et « l’assourdissant ici des machines », le monde des villes, etc. La poésie naît-elle encore de cette opposition ?
Le fossé entre le silence de l’écriture et le bavardage de l’ici a toujours existé. Il faut que ce fossé existe, parce que c’est dire que la poésie traite avec ce qu’on pourrait appeler l’abîme, le silence originel, ce silence qui fait qu’il n’y a de raison à rien. Ce fossé, entre le temps et l’ici que la poésie a à prendre en charge et son silence, est ontologique. C’est en existant dans le creux le plus bas de ce fossé qu’elle ré-entend dans le visage actuel qu’a notre monde bruissant le silence premier de la langue, qu’elle montre ce qui l’obstrue, le dissimule. À chaque génération, la figure du lieu d’où nous venons change et la qualité du silence qu’elle y découvre aussi. Et je crois, c’est du moins l’enjeu de ces pages, qu’il y a des voix qui se situent ailleurs que dans cette tension dont je parle plus haut. Des voix qui ont des relations au langage dont je dirais volontiers qu’elles sont déjà reconnues ou du côté du ressassement. Qu’elles manquent l’inouï vers lequel se porte toute poésie digne de ce nom en rabâchant du sens, en perdant son interrogation entre la langue et le temps.

Ces voix, que vous dites nulles, vous les nommez en stigmatisant deux courants : les « pathétiques » et les « formels »
D’abord, je n’ai pas la prétention de dire ce que la poésie doit être. Le problème de la lecture ne se pose pas en terme normatif. Toutefois, on ne doit pas pour autant dire qu’il n’y a pas de jugement en dehors du seul jugement subjectif « j’aime/je n’aime pas », qui revient à rendre équivalent le choix entre une série B et un grand film, par exemple. Il n’y a pas de lecture qui soit indemne de jugement. Ce que j’ai voulu faire en stigmatisant deux ou trois courants de la poésie contemporaine, c’est reconnaître la situation de certaines paroles poétiques aujourd’hui et de voir ce qui constituait, à partir du texte, leur vide : soit parce qu’elles ont recours à un angélisme de pacotille, soit parce qu’elles croient pouvoir écrire en évacuant tout rapport au mythe de la langue, à son passé. Dans ces deux perspectives, si opposées soient-elles, on ne retrouve que du ressassement, du déjà connu, de la révérence à l’ancien ou de la surdité à toutes formes antérieures, du sens unique quand il s’agit de créer quelque chose d’inouï, qui n’a rien à voir avec le sens. Le propre du sens c’est de se répéter dans la signification de différentes façons. Et la poésie dit les choses d’une façon et d’une seule.

Le titre de votre essai, Pour affoler le monstre, emprunte à Mallarmé, qui lui-même tient une place importante dans votre essai. Quel est, justement, ce « monstre », aujourd’hui ? et quel rapport avec cet automne 1865, si crucial pour l’auteur du Coup de dé ?
Ce que je trouve extraordinaire dans cette phrase de Mallarmé tirée de sa correspondance, « Il faut que nous affolions le monstre » dit-il, c’est que nous ne savons pas quel est ce monstre. Il n’a pas d’attribut. Nous sommes amenés à mettre derrière ce mot notre propre monstruosité. Mallarmé dit aussi par là qu’on ne peut pas se contenter d’être de son époque, que derrière le monstre il n’y a pas une figure de notre temps bien reconnaissable. Il ne dit pas « faire parler le monstre », il dit qu’il « faut l’affoler », et que cet affolement c’est l’exacerbation d’une violence qui est la condition d’une écriture et non pas l’écriture elle-même. Le monstre, justement, ne parle pas. C’est à nous de parler, et à partir de ce qui est inarticulé dans son cri. Cette phrase est véritablement universelle et elle fait bien le pont entre le bruit monstrueux d’un temps et le silence d’une écriture qui aura à l’articuler. Ces pages, si elle ne prétendent pas définir un champs de la poésie actuelle, au moins, ont-elles la volonté « d’affoler le monstre », parce que le grand danger c’est une poésie équivalente à de l’eau tiède, bien de consommation ou petit plaisir bourgeois, confort. Quelques jours avant, à la terrasse d’un café, François Boddaert, inquiet de la situation à venir des éditions Obsidiane, depuis le redressement judiciaire de son diffuseur-distributeur, se contente de dire que l’effondrement de Distique aura peut-être pour effet de reposer la question d’un réseau propre à la distribution de la petite édition de création ; qu’une réforme plus profonde des aides à la publication du Centre National du Livre, notamment, verra le jour de ces questionnements. Dans ses Propos et billevesées d’un entrepreneur de poésie, il dresse un état de toutes les responsabilités quant à l’exclusion de plus en plus massive de la poésie d’aujourd’hui et de la création vivante en général. Ses différents chapitres, en sus de n’épargner personne (presse, à part le naïf MDA, hé oui, qui croit encore pouvoir faire pour cette pauvrette !, systèmes médiatiques, programmes de l’éducation nationale, effondrement du réseau des librairies, « couardise des éditeurs à grand fronton », décalages de l’institution), ont le mérite de proposer certaine solutions objectives, et d’y mêler quelques autres, plus ironiques, lorsqu’elles ne se décident qu’à partir de choix individuels. Par ces propos, Boddaert précise qu’il a voulu rendre évident le resserrement d’un « cercle vicieux qui témoigne, dans sa fragmentation, de l’unité complice d’une résignation et d’une démission générale. Franck Venaille, il y a quinze ans, alors connu d’un petit cercle de lecteurs, vendait chacun de ses livres à presque 2000 exemplaires quand, désormais, avec sa reconnaissance et le prix Mallarmé qui a été attribué à son dernier livre La Descente de l’Escaut, je n’en vend pas plus de 600 exemplaires. (…) Tout ce qui peut aider la poésie est là, mais tous les réseaux sont fragmentés, mal structurés. D’où cette dissémination de la poésie et sa quasi absence du marché du livre. Sans noter l’individualisme forcené des petits éditeurs et le manque de clairvoyance des intérêts généraux par rapport aux intérêts individuels ». A noter, également, le relevé Distique du mois de janvier d’Obsidiane, p. 55 : 100 ouvrages vendus, sans avoir payé ni l’imprimeur ni l’auteur, rapporteront à l’éditeur 780 FF. Le compte est bon, disent les beaux embaumeurs, qui n’ont rien à y revoir.

Propos recueillis par Emmanuel Laugier

Pour affoler le Monstre
Christian Doumet
(suivi de) Propos et billevesées d’un entrepreneur de poésie
François Boddaert
Édition Obsidiane, 11, rue Beaurepaire 89 100 Sens
55 pages, 55 FF

La peau de la poésie Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°20 , juillet 1997.
LMDA PDF n°20
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