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Nouvelles Valentine n’aime pas la bière

janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22

Les éboueurs m’ont réveillé les salauds, les faux-frères, moi qui venais de m’endormir. J’ai cru sur le moment qu’une bande de martiens envahissait la ville -seuls des monstres débarquant de l’espace dotés des forces telluriques du système solaire pouvaient ainsi m’arracher du coma où j’avais fini par sombrer- puis j’ai pensé à des tanks, grondements, cliquetis des chenilles, Prague ou Tien an men, ça n’était pas plus vraisemblable, une mouche tournoyait autour de la lampe de chevet restée allumée, tout juste cinq heures, j’ai cligné des yeux, je me suis levé pour aller fermer la fenêtre, j’ai pigé, le camion brinquebalait encore de l’autre côté du mur, rugissant, engloutissant son petit déjeuner d’ordures dans ses mâchoires de fer, je me suis dis que j’avais la gueule de bois, le cœur hérissé, l’âme noircie comme le crépi de l’immeuble en face, c’est alors que j’ai regardé plus bas sans vraiment croire à ce qui pouvait arriver, à ce qui arrivait justement, la chambre s’est éclairée et soudain elle était là, à demi-nue, une serviette nouée à la taille, une autre enveloppant ses cheveux, aussitôt j’ai repoussé mon buste et ma tête en arrière me dérobant à l’aplomb du rebord de la fenêtre pour ne plus distinguer qu’une lueur vague, longue, étroite, un rai de vapeur et d’ombre…
Son corps penché sur le tiroir ouvert de la commode… sa main fouillant les sous-vêtements… la courbe entrevue des seins… Images fugitives, afflux de sang dans tout mon être, émotions d’un voyeur, eh bien, c’est du propre ! Mais aussi, ne fait-elle pas exprès de s’exhiber, d’entrer dans mon jeu ? Il est possible qu’elle me soupçonne depuis plusieurs jours de l’épier. J’ai déjà remarqué qu’elle ne baissait plus les stores et maintenant, elle est sûre que je l’observe, elle prend un temps fou à s’habiller, se livre à mon appêtit de sagouin vicelard, minable et frustré, jambes qu’elle croise, décroise, mouvements faisant saillir la hanche, danse du ventre, la peau dans la lumière, la lumière dans la peau… Ah Valentine, je t’en supplie, fous-moi le camp !…
Je suis allé hier soir chez Maria, le tex-mex où j’ai mes habitudes, principalement celle d’y convertir mon allocation unique dégressive en petits verres de tequila. J’ai dû regagner ma turne vers les trois heures pour passer le restant de la nuit à lire et à fumer, en guettant nerveusement une improbable apparition de Valentine. Ma fenêtre en effet ne donne pas directement sur la rue mais sur une sorte de terrasse intérieure, un patio autour duquel s’encastre l’appartement du dessous. Il serait vulgaire, grossier de dire que je connais cet appartement comme sa locataire : de fond en comble. Je deviens précisément un type grossier quand j’ai besoin de me couler dans le sommeil, que ce droit à l’oubli m’est brutalement refusé dans un fracas de poubelles extraterrestres, que mes rêves d’amour me sont flanqués à la gueule et que le chili con carne de la veille me remonte le tube digestif. De mauvaise humeur ce matin. Je vais boire une bière, histoire de me calmer un peu et peut-être, mettre un terme à cette lutte intestine entre les haricots rouges et le bœuf épicé.
Valentine n’aime pas la bière. A cause de son goût amer, de ses bulles gazeuses, de sa mousse, sa couleur trouble comme un pissat. Par ailleurs, je crois qu’elle ne la supporte plus depuis le terrible et dernier soir où j’ai été brutal, infect, parce que j’en avais trop bu. Elle m’a foutu à la porte, misère de misère, bien fait pour moi… Je sais, ce que je raconte n’est pas très original. A mon avis, beaucoup trop de gens s’efforcent d’être originaux. J’ai tout de même le droit de penser haut et fort que la situation, aussi banale soit-elle, devient intolérable. Je n’ai pas de travail et pas d’argent. Le fric débarrasse de la mélancolie, les femmes aussi, je n’ai plus de femme, juste une malheureuse canette dans le frigo, tout me manque. Aujourd’hui, le seul espoir qu’il me reste à caresser est dans mon slip.

Claude Andrzejewski

Valentine n’aime pas la bière
Le Matricule des Anges n°22 , janvier 1998.