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Égarés, oubliés L’enchanteur au bois dormant

janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22 | par Éric Dussert

Auteur de fictions fantaisistes, critique et traducteur prolifique, Francis de Miomandre subit les dures lois de l’oubli. Retour d’un charmeur.

Poète, romancier, essayiste, auteur dramatique et nouvelliste -voire moraliste et philosophe- Francis de Miomandre a longtemps fait l’unanimité. On a évoqué à son propos la fluidité de Verlaine, le raffinement des symbolistes, l’aisance de Nodier ou de Gobineau. Avec une touche de malice et de légèreté, ses œuvres réclament aujourd’hui des lecteurs qui ne s’étourdissent plus des seuls volumes d’Ecrit sur de l’eau ou du Veau d’or et la vache enragée au préjudice du romantique Primevère et l’ange, de l’âpre Amour de mademoiselle Duverrier ou de La Bonbonnière d’or qui se paie la fiole des romans policiers. « J’ai toujours essayé de concilier ces deux tendances de mon esprit, écrit-il, l’une réaliste et mélancolique, l’autre joyeuse et libérée. » C’est tout son charme… qui n’a pas suffit à le préserver des mauvais tours de la postérité.
Francis de Miomandre est né le 22 mai 1880 à Tours sous l’état-civil de François-Félicien Durand. En 1888, ses parents s’installent à Marseille et l’inscrivent au collège Saint-Ignace. Le bachot acquis, il se mêle au groupe littéraire d’Edmond Jaloux et Gilbert de Voisins. Ces derniers ont fondé en 1894 une petite Revue Méditerranéenne à laquelle Miomandre -il prend en littérature le nom de sa mère- donne ses premiers écrits marqués par une verve, une drôlerie et un esprit qui le démarquent. En 1900, il rencontre Camille Mauclair qui villégiature. Le romancier a besoin d’un secrétaire, il embauche le jeune homme. « C’est lui qui me « parisianisa »  » dit Miomandre qui quittera le « grand patron » pour devenir secrétaire de Félix Fénéon à la galerie Bernheim puis, en 1912, secrétaire de rédaction de L’Art et les artistes.
Le débutant fait son trou, collabore au Mercure de France, à Antée, à L’Occident. Sa carrière démarre lorsque son cinquième livre, Ecrit sur de l’eau obtient le prix Goncourt en 1908. « Comme cette attribution du prix était inattendue et que personne n’avait lu le livre qui avait été tiré à cinq cents exemplaires aux éditions de la revue Le Feu de Marseille, les articles que la critique lui consacra furent d’une fantaisie désarmante. Le Temps, entre autres, affirma gravement qu’il s’agissait d’une étude de mœurs sur les grands paquebots ! ». Comparant sa prose à celles de Laforgue et de Jean de Tinan, ses pairs l’admettent dans leur cercle. Conforté par ce succès, Miomandre se consacre exclusivement à la littérature et noue des amitiés prestigieuses : André Suarès à qui il sert ses ouvrages signés « Petit Mi », Jean Cocteau qui le surnomme « L’Ami Omandre », Supervielle, Léonor Fini, Remy de Gourmont, Debussy, Paul Valéry, Max Elskamp, Valéry Larbaud. Il fréquente aussi Willy, Mac Orlan et Natalie Clifford-Barney, sans oublier O.W. Milosz à qui il dédie La Cabane d’amour (1917).
Pour l’Espagnol J. M. Lopez Pico, Miomandre reste cet « homme de conviction qui sait en jouer comme avec le bâton de sa canne. Il sourit sous son chapeau de paille et quelquefois, distrait, oublie sa canne au café. » Ses qualités séduisent l’irascible Paul Léautaud. En octobre 1927, le secrétaire du Mercure de France note la visite de Miomandre : « Il me raconte une histoire délicieuse d’un scarabée, soigné par sa femme et libéré de je ne sais quelle vermine attachée à lui et revenant le lendemain avec d’autres scarabées également atteints. » Les voilà tous deux à leur affaire. En effet l’œuvre de Miomandre est un véritable bestiaire où niche une ménagerie pittoresque -ornithorynque (Baroque), tortue (Gazelle), singe (Portrait de Sada), Otarie, sirène (Le Veau d’or), etc.- et des images flamboyantes : « Des havanes craquants comme le ventre des cigales. »
Forçat de la plume, il publie des milliers d’articles dans plus de deux cents journaux et revues. Outre ses collaborations occasionnelles à la NRF ou aux Cahiers du Sud, il tient des chroniques régulières aux Nouvelles littéraires à partir de 1922 et à L’Europe nouvelle où il se révèle un critique très perspicace. Il est ainsi le premier thuriféraire de Milosz et prend dès janvier 1933 la défense de Céline dans un article de Fantasio intitulé « La Peur des gros mots ». Il y déplore « La majestueuse imbécillité des chroniqueurs des grands journaux -et des petits aussi, hélas ! (…) Car enfin, nous parlons tous comme le héros de Voyage au bout de la nuit, quand nous sommes entre hommes, reconnaissons-le sans hypocrisie. » On a trop fait le reproche de sa préciosité à ce Parisien du xvie arrondissement pour ne pas souligner sa franchise en même temps que son flair.
Parallèlement, il est un excellent traducteur de la littérature espagnole. A partir de 1918, il donne des pages de Gongora, Unamuno, Quiroga, Asturias, Machado de Assis… et une version de Don Quichotte de la Manche qui n’emporte malheureusement pas le succès escompté. Ce sont près de cinquante romans, essais et recueils au nombre desquels on compte plusieurs chefs-d’œuvre. Une telle activité suggère une question : comment assume-t-il dans le même temps ses travaux de critique, de traducteur et son œuvre personnelle ? On sait qu’il consacre chaque matinée à la traduction de dix pages… ce qui lui laisse les après-midi à la critique et la soirée aux créations. Ou l’inverse. Et sa propre bibliographie compte plus de cent ouvrages…
Dans la Revue méditerranéenne, le jeune Miomandre déclarait son « goût exclusif d’une vie féerique ». Il ne l’a jamais renié. « Je resterai au milieu de mes nuages » pronostique-t-il dans les Voyages d’un sédentaire. Comme Fargue et Carco, il rend la vie aimable et n’exclut pas les petites choses des grands sujets. Qui d’autre a fait l’éloge du papier peint, des dancings ou du café au lait ? Cette touche décalée le rend inoubliable. Sur le fil de l’attendrissement, il frôle le ridicule, se redresse et lance de ces traits qui valent la plus frappante image surréaliste : « Je me rappelle Nijinski. Il me fit penser à un ange muré dans un tuyau d’usine. J’en aurais pleuré ».
Miomandre qui adresse La Bonbonnière d’or à « André Suarès (…) pour l’amuser une heure et sans autre dessein plus haut » prend soin de flétrir ses « pauvres petites histoires frivoles ». Coquetterie ou pied-de-nez, Rosny voit juste qui lui écrit « Vous êtes toujours Miomandre l’enchanteur ». Ses déclarations d’humilité ne doivent pas nous tromper : Francis de Miomandre est l’auteur d’une œuvre extraordinaire. On aurait tort de l’oublier.

L’enchanteur au bois dormant Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°22 , janvier 1998.