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Domaine français Paroutaud : quartiers de haute insécurité

juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23 | par Philippe Savary

Roman d’une noirceur extrême, La Ville incertaine guide le lecteur dans les entrailles d’une cité pas si futuriste que ça. Mortel destin.

Comment un texte aussi précieux que La Ville incertaine, écrit en 1944, a pu vivre dans un si froid anonymat, durant la moitié de notre siècle ? Si le marché de l’édition est traversé par tant de circuits, surveillés par tant de vigies, éditeurs, comités de lecture, libraires, critiques, des livres échappent encore au maillage du filet tendu. Cruelle et bienheureuse évidence. Par bonheur, dans les plis de cette littérature « introuvable » publiée, la curiosité et la perspicacité d’un petit nombre parviennent à ramener sur la berge quelques-uns de ces trésors ensevelis par les limons du temps. Il faut citer ce petit nombre. Concernant Jean-Marie-Amédée Paroutaud, il s’agit entre autres des éditions Robert Marin, Puyraimond (aujourd’hui disparues), de Rougerie, du Tout sur le tout, et enfin présentement du Dilettante.
Né en 1912 et mort en 1978 à Limoges, Jean-Marie-Amédée Paroutaud fut avocat de son état, enseigna à la faculté de droit, écrivit une dizaine de livres (récits, romans) que quelques amis louèrent pour leurs qualités si singulières : des textes d’apparence fantastique, à mi-chemin entre le roman noir et le roman réaliste, et suffisamment ambigus pour tourmenter le lecteur de littérature récréative. La Ville incertaine serait son livre le plus remarquable. N’en doutons-pas : c’est un voyage au bout de la nuit, errements crépusculaires qui glacent autant le sang que sa propre idée de la condition humaine. On revient de ce périple l’épiderme en désordre, pris de vertiges, aussi effrayé que d’être resté quelques jours, muré, avec pour seule compagnie une peinture de Munch. Pour rester dans le domaine pictural, il y a là une profusion de procédés où se mêlent l’expressionnisme, le symbolisme, le surréalisme, le cubisme. Ce mélange suscite l’étonnement, l’égarement puis le malaise.
La Ville incertaine débute comme dans Les Saisons, le magnifique livre de Maurice Pons (il y a de nombreuses similitudes entre ces deux textes). Derrière les montagnes, sûrement après un long voyage, un homme a trouvé refuge. On apprendra que l’homme nommé Ranède est un meurtrier, condamné à mort, qui a faussé compagnie à ses juges après le verdict. L’étranger fait ainsi l’apprentissage de cette nouvelle ville. Plutôt curieuse : les gens portent un visage ennuyé, les femmes sont légèrement vêtues, des cavaliers arpentent les grandes artères parmi les bus et les automobiles, un air au goût de miel et de pin flotte délicatement. Dès son arrivée, un orage violent se déclenche inopinément, la population accourt, ravie ; quinze personnes seront foudroyées. Maléfique contrée donc où de gros lézards se reposent sur les rochers, où des pancartes informent les enfants de la présence de plantes carnivores, où le sport national est le concours de saut qui fracasse les jambes ou le crâne des compétiteurs. Vision de trouble et d’effroi. Qui s’amplifie lorsque Ranède rejoint « l’usine fanion, atelier B, poste 322 », job qui consiste à percer des plaques et qui a pour seule utilité de permettre aux habitants de vivre (il rencontre là sa voisine de chaîne, Alcaride, et en profite pour rejoindre son lit ainsi que celui de sa fille).
Si à l’intérieur de ce décor étrange et menaçant, Ranède se sent « comme englué dans un cauchemar », malheureusement il ne rêve pas. Le lecteur découvre avec lui la nature mystérieuse de cette ville : la vie humaine et animale y est régie par des Lois, édictées par le gouvernement, et appliquées par des « types à casquette » qui sillonnent le pavé. Tout est permis en général, mais un esprit malin s’occupe du particulier. Certaines interdictions sont « permanentes » ou « quotidiennes » ou « dans le même jour changeantes ». Au tintement d’un simple coup de cloche, le silence peut être imposé dans un quartier ; à l’improviste des campagnes d’éliminations collectives sont organisées, des perquisitions aussi pour traquer « livres, photos, dessins obscènes ». Explication du tenancier du Café des sportifs : « Le crime de sang est souvent interdit, plus souvent même qu’on ne le croit, car il faut qu’un assassin soit pris en flagrant délit et arrêté pour qu’on sache qu’il a eu tort de tuer trop tôt ou trop tard ».
André Breton souligna lors de la publication de La Ville incertaine en 1950 que ce roman était celui de « l’appréhension du futur ». La place faite ici aux rêves, l’érotisme fatigué qui suinte sur chaque page ont dû susciter l’intérêt chez le surréalistes. Par une langue terriblement froide, Paroutaud déroule sous nos yeux toutes ses hantises : une civilisation où l’absurde serait roi, où l’homme serait aliéné tant par l’Etat que par les machines, et qui ne se libèrerait que par des désirs dévoyés (prostitution, inceste). La force de ce livre tient au grand écart entre l’ambiance irrationnelle et le traitement cru et blafard de la nature humaine. Dans cette ville, l’instinct grégaire domine. L’homme est dépossédé de son destin. Même si les gens savent que le trépas les attend à chaque coin de rue, ils ne se plaignent pas car « il faut apprendre à ne pas se révolter contre l’inévitable ». De l’absence de faction naît la terreur.
La mort circule également avec une incroyable vitalité. Symbole du néant, elle est la marque de la gratuité, de l’inutilité. La vie se liquide avec facilité, par la folie de quelques cerveaux pervers. Visionnaire Paroutaud ? L’Histoire passée et présente, gonflée de charniers et de nettoyages ethniques, prouve difficilement le contraire. En épaississant le trait, l’écrivain nous montre que le pouvoir ne peut s’exercer sans une dimension ludique. Le pouvoir est le jeu le plus criminel du monde. Cette image constante de la mort, absurde, refoulée, c’est aussi celle de son père, tombé au champ d’honneur, dont le corps a été rapatrié : « J’ai vu sortir de terre, dans une toile de tente, un paquet allongé et cependant cassé en deux et que tenait un homme à chaque bout. Une toile tachée et d’où sortait un liquide noir. On a mis cela dans un cercueil à couvercle plat, où était inscrit en blanc le nom que je porte. » (Le Pays des eaux *)
Lire La Ville incertaine, c’est mettre la tête dans la gueule du monstre, créature sans visage. Imaginer ce que c’est que d’être broyé. Il faut du courage. Pour éviter de se faire manger.

* Le Tout sur le tout, 1983

La Ville incertaine
Jean-Marie-Amédée Paroutaud

Le Dilettante
208 pages, 99 FF

Paroutaud : quartiers de haute insécurité Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°23 , juin 1998.
LMDA PDF n°23
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