Nous sommes quelques années après la Fronde qui enflamma Paris au mitan du XVIIe siècle. Un homme de lettres prend la plume pour répondre aux avances d’une amie, dame à la cour. Il s’engage à lui décrire l’amour absolu dans lequel tout entière sa vie est prise. Durant 170 pages, il évoque donc une figure mythique et féminine dont on devine bien vite qu’il ne s’agit pas de celle d’une femme. En abusant « d’un pur procédé de rhétorique » le narrateur dépeint sa passion pour… l’écriture. Filée sur autant de pages, la métaphore n’est pas légère et on regrette parfois que le double sens des phrases participe plus d’un jeu d’esprit ou d’un exercice de style que d’une pensée bien aiguisée.
Si le procédé métaphorique établit une distance entre la voix qui parle et son sujet, le style adopté par Alain Nadaud renforce cette impression. L’auteur s’est emparé d’une langue proche de celle du Cardinal de Retz. Pourquoi « se priver de l’usage de mots et tournures anciens, et donc de ressources qu’autorise la langue » ? Effectivement. D’autant que le livre se lit ainsi avec pas mal de plaisir. De plus, par cette longue métaphore, l’écrivain dénonce bon nombre de travers de notre monde des lettres contemporain. Mine de rien. Notre homme, par exemple, entre à l’université « mû par la certitude qu’il n’y avait que là qu’on pût me la (la littérature, donc) faire rencontrer, quelle ne fut pas ma déconvenue d’apercevoir que sa présence n’y était pas même autorisée ! » Plus loin ce sera l’Académie française, les écrivaillons à la mode, le peu de cas que la société fait de l’écriture et le narcissisme des écrivains qui seront montrés du doigt. Ce procédé de mettre un masque sur ce qui est écrit est donc double : évoquant une femme aimée, on nous parle de littérature ; parlant d’un siècle révolu, il n’est question que d’aujourd’hui. Cela permet aussi à Nadaud d’esquisser une autobiographie qu’en d’autres circonstances, il rejette. Les « examens de conscience » du narrateur qui le montrent soucieux des gazettes et du qu’en-dira-t-on et son insistance à montrer qu’il garde pour son art une exigence que d’autres n’ont pas, nous le rendent touchant. On se dit alors que la Fronde ressemble à mai 68, que la faillite du premier libraire de notre héros évoque la fin de Quai Voltaire (où Nadaud dirigeait la revue du même nom) et que les ouvrages de notre narrateur ressemblent à ceux de l’auteur de L’Archéologie du zéro (roman sur l’origine de l’écriture) : « Ne vous ai-je point confié qu’elle s’était toujours arrangée pour figurer comme personnage principal dans la plupart de mes romans ? »
La fin de l’ouvrage, qui montre la mort en double de la littérature donne à l’ensemble un écho mortifère que l’apparent badinage du style masquait jusqu’alors.
Lu entre les lignes, ce roman donne chair au sentiment d’inquiétude. La littérature exige « un don de soi qui ne laisse de latitude à nulle autre entreprise » et qui éloigne donc des bruits du monde, des rires de la cour, des gloires éphémères. Le choix de s’y consacrer se marie donc avec la certitude de ne jamais savoir si la route qu’on suit est la bonne. Un homme qui se consacre à l’écriture au détriment de la vie n’est peut-être qu’un perdant. Reste ce choix d’écrire depuis un autre siècle (Olivier Rolin lui écrivait depuis une autre terre) : on préfèrerait peut-être que le masque tombe et que les choses soient dites sans manière et sans détour. Que le perdant soit magnifique.
Une aventure sentimentale
Alain Nadaud
Verticales
175 pages, 90 FF
Domaine français L’écriture ou l’amie
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Thierry Guichard
Dans un style d’un autre siècle, Alain Nadaud évoque la passion de l’écriture. Sous le masque du badinage, les affres d’un homme sacerdotal.
Un livre
L’écriture ou l’amie
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.