Nous ne dévorons plus nos morts, mais n’avons jamais été aussi peu affranchis du besoin de nous en nourrir« note le jeune archéologue soviétique qui dirige les fouilles autour d’une sépulture vieille de quarante huit mille ans. Dans son journal, il consigne tous les soirs l’avancée des travaux. Avancée paradoxale puisqu’elle est pierre après pierre synonyme de déconstruction, destruction de la tombe.
La phrase est limpide, le mot précis pour rapporter les gestes lents du quotidien, la corvée de bois, les relevés topographiques, mais l’archéologue se fait aussi poète pour dire, au-dessus de sa tente, le ciel impénétrable des steppes et le soleil, comme une boule de feu qui déjà, au Neandertal, réchauffait l’homme couché sous ses pieds.
Ce premier roman de Daniel de Bruycker se goûte comme une eau claire, et c’est insensiblement qu’il glisse, dérive. On réalise trop tard que l’on est aspiré vers un abîme sans fond, les mains plongées dans la terre noire, putride, et on bute avec le narrateur sur le sens des menus objets, silex, pétales de fleurs déposés sur la tombe comme autant de lettres d’un alphabet devenu indéchiffrable. Commence alors »une chute très lente mais vertigineuse« . Pages après pages, l’archéologue interroge le vent, le soleil, et surtout le chasseur qu’il exhume. Quand est-ce que meurt vraiment un homme et quand est réellement né l’homme ? Est-ce quand il a décidé d’enterrer ses semblables ? Et que signifiait pour lui ce geste ?
»Tout est possible - sauf de deviner« . Et tandis que les préhistoriens polissent leurs hypothèses, de Bruycker, comme son compatriote belge Henry Bauchau l’a fait pour l’antiquité -et qu’il cite en exergue-, réussit à son tour grâce à l’écriture à franchir »le silence des marais et remonter le cours du vent des steppes".
Silex - La tombe du chasseur
Daniel de Bruycker
Actes Sud
187 pages, 99 FF
Premiers romans Creuser sa tombe
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Anne Riera
Un livre
Creuser sa tombe
Par
Anne Riera
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.