La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Je jouis

septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32 | par Xavier Person

Dans Ma Langue, Christophe Tarkos se jette dans ses phrases, se donne à ce qui vient, de bouleversant. Avec amour.

Dans le paysage un peu convenu de la poésie contemporaine, l’écriture de Christophe Tarkos ne cesse pas de faire irruption. Quelque chose là s’impose de radical, d’extrême, mais sans raideur. Une poussée se fait dans les phrases, un élan se donne, avec générosité, dans une prodigalité qui vient donner au mot « brut » tout son sens. Quelque chose se passe, de plus intense, de plus risqué, qui par la puissance qui s’y joue, dans l’engagement d’un sujet, d’une singularité, franchit le mur du son de la littérature, du livre de poésie, pour nous faire basculer dans une manière d’extase de la voix rendue à elle-même. Oui, les livres de Christophe Tarkos délimitent l’espace d’une scène sur laquelle, à la manière un peu de l’acteur que dans son Éloge de Louis de Funès Valère Novarina appelait de ses vœux, l’auteur grime son visage, se défait de sa figure, ne se livre plus qu’à la délirante gesticulation de son corps, de sa langue, de son corps passé dans sa langue.
Après des livres comme Caisses, Le Signe = ou, plus récemment, Pan1, un coffret réunissant trois recueils vient de paraître aux éditions Al Dante2, sous le titre Ma Langue, qui à la fois résume et explicite son projet, à la fois le pousse plus loin, le renouvelle.
Les poèmes composant le premier volume, justement nommé Carrés, sont comme des ramassés d’une écriture qui en elle-même joue beaucoup sur la condensation, le compactage des phrases qui incessamment reviennent, modulées, dans des variations poussées toujours plus loin, des répétitions qui n’en sont pas exactement mais reprennent la phrase, la distordent, la triturent, la malaxent pour faire comme des paquets de texte, des sacs de texte. Ces poèmes en carrés délimitent un cadre à l’intérieur duquel la phrase jetée serait l’accentuation d’elle-même, son exacerbation. Le monochrome est syntaxique et tournoyant, il creuse en son centre improbable un point aveugle où tout bascule, du sens, de la raison, de la clarté énonciative. Le carré vibre alors, trépigne, comparable à une machine à laver lancée à plein régime, trébuchante : « Que se passe-t-il, ce n’est pas long, qu’est-ce qui se passe, ce n’est pas de la même façon, qu’est-ce qui est en train de se faire, quelque chose est en train et roule et se poursuit et tourne, qu’est-ce qui se passe en tournant, en poursuivant, en roulant, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se fait, qu’est-ce que cela ferait, qu’est-ce que cela se mettrait à faire alors en même temps. »
Disons-le, il y a dans cette énergie du texte, et dans son insistance, une folie, rageuse et envoûtée, mais un courage aussi bien, un courage du singulier, une véhémence joyeusement solitaire. Ayant eu à se dévêtir des apparences, ayant eu tout entier à passer sous la porte pour ne plus ressurgir qu’en parole virevoltante, l’auteur pénètre nu sur le devant de la scène, ne trouvant plus rien à quoi se raccrocher que la certitude aveugle de son dire. En ce sens, et cela fonde l’insoutenable de sa beauté, sa logorrhée est un transport, une explosion. « Ma divagation se laisse transporter au-delà des bornes de mon esprit », nous dit-il et il nous faut céder à ce départ, tout relâcher.
Pan pourrait alors être le titre de toute l’œuvre. Ce livre commence d’ailleurs magnifiquement par Les Nuages, long texte où tout glisse à l’image des nuages dans le ciel, où tout n’est que passage, des taches blanches étalées dans le ciel au corps des enfants, au corps doux des enfants qui font l’amour entre eux, hors du temps et de l’espace, au-delà, dans le texte où tout passe, dans cette lumière de ciel en plein texte, dans ce délire du texte basculé en plein ciel : « à quoi ressemble un nuage, regarder un nuage qui passe dans le ciel, regarder le ciel, il y a un nuage qui passe dans le ciel, les enfants font l’amour sans comprendre, ne comprennent pas ce qu’est faire l’amour ».
La poésie de la langue de Christophe Tarkos tient avant tout dans cette douceur, cette fluidité. La pâte du poème gonfle, elle est bonne à manger, elle est bonne comme « l’amour est bon », elle est une boisson : « L’amour est un café liquide gazeux ».
La poésie de la langue de Christophe Tarkos est amoureuse, elle est espoir que quelque chose dans la langue se passe, se lève, apparaisse. Elle se chauffe au désir, elle est chaude, elle s’emballe sous la poussée du désir qui chauffe la langue, l’assouplit. Elle est fondue de désir. Elle disjoncte, tant la fusion de la langue est chaude. Elle est ce qu’on dit à l’instant où l’on ne sait plus ce qu’on dit, quand tout s’affole, lorsque dans la montée du désir tout devient beau, tout devient possible. Elle danse dans sa progression vers la jouissance.
La poésie de la langue de Christophe Tarkos est d’une telle plasticité que le deuxième volume de Ma Langue, Calligrammes, n’est fait que de dessins : formes molles, abstraites, naïves, enfantines. Ligne courbe qui relie, qui boucle la boucle. Extrême simplicité du simple, du plus simple.
Donne, le dernier volume, se construit en poèmes plus resserrés, tout en brisures, en fragmentations haletantes. Le passage entre le « je » et le « tu » s’y précipite, trébuche, achoppe ou au contraire se réalise dans la perte. D’une lecture plus difficile, ce texte d’une tonalité plus grave semble ouvrir une autre voie. Le lyrisme ici emprunte au discontinu la possibilité d’une béance entre les mots, d’un saut : « besoin pourquoi toi le en vérité, ne te fait que restant / qu’en étant toi qu’il je oui, de pas à moi maintenant que tu aies mon / avec le tu donnes je donnerai ».
Dans le passage du « je » au « oui », dans le saut qui fait que le « je » acquiesce à ce qu’il est, à lui-même se disant un grand « oui », dans ce passage tient toute l’écriture de Christophe Tarkos. « Je jouis » est le cri murmuré qui illumine. C’est aussi le moment où l’on oublie tout, les livres, la littérature, les conventions, les apparences, etc., pour simplement se sentir exister. Et mourir.

1 Aux éditions P.O.L, Caisse (1998), Le Signe = (1999), Pan (2000).
2 Aux éditions Al Dante : Oui (1997), Le Bâton, (1998), La Cage, (1999), L’Argent, (1999).

Ma Langue
Christophe Tarkos
Al Dante
Un coffret comportant
I Carrés (85 pages),
II Calligrammes (74 pages),
III Donne (37 pages).
260 FF

Je jouis Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°32 , septembre 2000.
LMDA PDF n°32
4,00