Basse continue et Panoramiques ont ceci de commun : ils sont tous les deux une façon de toucher le monde, de dessiner ce qui fait entre le lecteur et le monde l’espace d’une touche où l’un, et l’autre, trouveront leur place. Non parce que le monde dont parle Jean-Christophe Bailly est fixe, mais bien au contraire parce qu’il est mouvant, fait de voyages, de réflexions, et que l’on a donc à y trouver ses fines dérives de sens et ses traces, les nôtres comme les siennes. Au fait de traces, là, au premier étage d’un appartement parisien, la bibliothèque en est une : elle commence à la Préhistoire, file aux Égyptiens, et voici le bloc grec et latin, etc., les Russes, les Allemands, la poésie. Dans son bureau, il offre, afin que nous soyons bien atablé, sa chaise. Entouré de ses papiers, on remarque une loupe, une tête grecque datant de - 3500 pas plus grosse qu’un bigarreau. La presque cinquantaine, Bailly s’étonne de tout, d’un Bouddha en plastique chez un restaurateur chinois, comme de la barbarie de toute l’histoire que le présent nous donne à réfléchir. Ses livres lui ressemblent bien, parce qu’ils sont autant de touches dans un monde qui va trop vite, autant de tentatives d’éveil d’une conscience et des différents champs qu’elle traverse. Avec elles ce furent donc, dans le fil du temps, les enthousiasmes surréalistes, le militantisme gauchiste, les amitiés avec Leiris, Ernst, Ghérasim Luca, et presque une vingtaine de livres, des essais tels que La Fin de l’hymne, Adieu, essai sur la mort des dieux, La Comparution (politique à venir, avec Jean-Luc Nancy), des récits (Description d’Olonne, Beau fixe), des livres de poésie et des pièces ou adaptations théâtrales (avec Georges Lavaudant et Gilberte Tsaï) : une soif des matières comme il a pu l’écrire, que l’on retrouve dans son choix d’enseigner à l’École Nationale Supérieure de la nature et du paysage de Blois. Une soif qui sait que l’on ne lira pas tous les livres, que l’incomplétude est une condition de nos horizons : ainsi Jean-Chistophe Bailly fait-il des panoramiques une nécessité de la pensée.
Jean-Christophe Bailly, on est d’abord frappé par la diversité de vos livres, tour à tour peut-on les comprendre dans le champ du théâtre, de la poésie, du récit, de l’essai, si bien que l’on irait jusqu’à soupçonner quelques homonymes (!) ?
Disons que cette diversité n’a jamais été décrétée. Elle est venue comme ça, et se trouve liée à une curiosité avide, à des sollicitations diverses, la forme d’un habitat, d’un pont, une promenade, un voyage, un tableau, etc. Cette affaire-là n’est pas très cadrée. Toutefois, j’ai assez vite compris que je n’aimais pas travailler à une seule chose. S’il y a bureau, pour travailler, celui-ci allait devenir le bureau des écritures : non pas plusieurs personnes pour un même bureau, mais plusieurs modes d’expositions de l’écriture. Ces modes se révèlent parce que l’on est sciemment tourné vers l’extérieur (les conférences, les interventions...
Entretiens Jean-Christophe Bailly, la soif des manières
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Emmanuel Laugier
Ecrivain, essayiste, homme de théâtre, poète, Jean-Christophe Bailly, depuis trente ans, interroge, pense, et cherche le pouls d’un monde en miette. L’écriture comme expérience infinie….
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