Lignes N°5
Créée en novembre 1987, Lignes, revue trimestrielle à l’origine, paraissant trois fois l’an aujourd’hui, se veut un espace de réflexion touchant à l’art, la littérature, la philosophie et la politique. Publiée d’abord à l’enseigne de la Librairie Séguier, elle a aussitôt répondu à ce que l’actualité politique avait d’insupportable. Le Pen faisait 15% de sympathisants et la gauche n’avait que Tapie à lui opposer. Dans le No602 des Temps modernes (janvier 1999), Michel Surya revient sur ce qui prévalut à la naissance de Lignes et insiste sur la nécessité qu’il y eut dès le début de répondre dans ses colonnes à la montée des nationalismes, à la démission des politiques. En mêlant aux débats d’idées les voix d’écrivains qui disaient mieux que quiconque le monde d’où l’on venait, vers lequel on se rendait : Celan, dès le premier numéro puis Habermas, Derrida, Blanchot, Antelme, Rushdie jusqu’à récemment Rousset, Sartre, Kafka.
Le No11, historique et épuisé, consacré à Blanchot mettait à jour le projet que ce dernier avait eu d’une Revue internationale. Mascolo, Enzensberger, Vittorini, Des Forêts et d’autres encore bâtirent de 1960 à 1964 le projet utopique d’un lieu d’échanges, de rencontres, de débats. Lignes revendique cet héritage et de fait, n’a pas de frontières. C’est peut-être pour ça aussi qu’elle compte un tiers d’abonnés à l’étranger (250 en tout). Après qu’Hachette a racheté Hazan, éditeur de Lignes depuis 1992, et que Surya a été remercié, la revue change une seconde fois d’éditeur mais le comité de rédaction reste, un temps, le même (Dobbels, Marmande, Surya), puis se voit étendu (Belhaj Kacem, Benslama, Brossat, Curnier, Nancy, Noël et Risset). C’est toutefois Michel Surya qui tient la baguette de chef d’orchestre (« je revendique ce mode de fonctionnement dictatorial, c’est la seule façon de faire cette revue ») et décide des thèmes de chaque livraison.
Le cinquième numéro, sorti en mai dernier, fleurait bon la revue littéraire. Treize jeunes auteurs se partageaient les deux cents pages sous l’intitulé : « littérature de la cruauté ». Ces coups d’essais (la plupart de ces écrivains ont peu ou pas du tout publié) font de ce numéro un coup de maître. Le récit de Jean-Christophe Valtat, justement titré Chirurgie, est d’une terrifiante beauté. Avec lui, avec Alain Hobé, Baptiste Moorman, Damien Perrault, Chloé Delaume, Laurent Evrard, Lignes prouve si besoin est que la littérature et la pensée sont indissociables. Pour le meilleur et pour penser le pire.
Lignes No5 - éditions Léo Scheer- 191 pages, 100 FF - Abt 285 FF