Aux agenouillés, Jean-Pierre Cescosse préfère les abîmés. C’est une question de posture. Son premier recueil de nouvelles, Rimbaud et le CAC 40, paru en 1997 au Dilettante, était un aveu d’incrédulité. Cinq ans plus tard, ses doutes n’ont pas été dissipés. Nos dernières frivolités, son troisième recueil, récapitule ses amertumes et ses désillusions. En quatorze nouvelles, Jean-Pierre Cescosse décrypte le faux-semblant des désinvoltes et des ironiques qui susurrent leurs mièvres railleries et s’adonnent à l’« indifférence » pour se dissimuler aux autres, et échapper à soi-même. « Elle donne souvent l’impression de ménager entre elle et ses émotions, ses sentiments, ses peines, ses joies, un écart, par où puisse s’immiscer la dérision », écrit-il dans De l’auto-sabordage. S’il dénonce l’artificielle indifférence, érigée en dogme, Jean-Pierre Cescosse se défie de la pathétique comédie des apôtres civils et religieux vociférant leurs anathèmes et leurs slogans : « L’homme (selon le dernier recensement, l’homme est six milliards) quant à lui, imperturbable, fait oué oué !, muni de banderole à l’effigie de son président favori » (Doux comme la haine).
Sceptique et indiscipliné, Jean-Pierre Cescosse effleure la détresse, avec une candeur fébrile mais sans céder à l’abîme du désespoir. « Lorsque l’on a, une bonne fois pour toutes, vu l’ignominie du monde en face, on se rend compte qu’on ne peut plus s’en passer. Qu’il y a aussi la merveille, et que ces deux aspects de l’existence n’ont de sens que relativement l’un à l’autre », écrit-il. Né à Verdun le 15 avril 1963, auteur de Manoeuvres de diversion en attendant la nuit (Flammarion, 2000), un premier roman où il soumettait Édouard Simon, un personnage « pas conforme », à la suspicion d’un Comité de surveillance et d’épuration, Jean-Pierre Cescosse débusque nos renoncements quotidiens. Son écriture retenue, si elle excelle à décrire l’inanité et la vilenie, parvient à nous persuader de l’espoir d’une « complicité toute neuve » entre les êtres.
Après avoir abordé le roman, vous publiez aujourd’hui votre troisième recueil de nouvelles. S’agit-il de deux manières distinctes d’envisager la littérature ?
Je ne crois pas. Mon roman est constitué de chapitres très brefs. Je le comparerais à un puzzle composé de textes fragmentés mais cohérents, travaillés à la manière d’une nouvelle. La nouvelle s’apparente selon moi à une dissection assez vive : son efficacité suppose que l’écrivain rabote et élague son récit. Cette exigence est de l’ordre de la restriction. Dans un roman ou une nouvelle, je me méfie de la linéarité du récit. L’ellipse, par exemple, permet de ne pas accentuer la démonstration, d’alléger le propos. Il n’y a rien de théorique dans cette démarche, c’est simplement une façon d’écrire qui m’est naturelle, instinctive. Paradoxalement, lorsque j’ai commencé à écrire, je me perdais dans les méandres de textes fleuves. Rédigés dans un style classique, ces morceaux de...
Entretiens Du côté des déchirés
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Pascal Paillardet
Jean-Pierre Cescosse décrypte en quatorze nouvelles, sans rancoeur mais avec lucidité, les mascarades sociales et intimes de ses contemporains. Parole d’un perplexe, en quête d’authenticité.
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