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Domaine étranger Sans planche de salut

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39 | par Dominique Aussenac

Un fils rêve la vie de son père, pasteur. Göran Tunström livre un roman grave où des êtres tentent de trouer la pesanteur du protestantisme pour vivre libre et singulier.

Les Saintes géographies

La quête de Jacob Schwartz, le héros de Göran Tunström (1937-2000), fils de pasteur comme lui, pourrait se résumer à cette phrase de Christian Bobin : « Un adulte qui parle de son père, c’est un homme qui réchauffe une ombre. » Encore faut-il avoir connu cette ombre. Ce n’est pas le cas de Jacob qui devra utiliser magie et rêve, pour accéder au royaume des morts, retrouver les origines de sa vie et effleurer son père. La porte solaire qu’il utilisera, se situe à mille lieux de la Suède, entre Grèce et Égypte et ce en pleine Beat Generation. Le vin coule à flot, l’odeur douceâtre du shit couvre les terrasses, la jeunesse du monde se bouscule autour d’Allen Ginsberg, Gregory Corso, Marc Chagall et autre Laurence Durell. Au milieu de ce joyeux désordre, Jacob n’a qu’une idée fixe. « J’ai couru les églises, les cercles de philosophie de la vie. Cela ne m’a servi à rien. Je rêve de lui la nuit, rêve qu’il n’est pas vraiment mort, ou que c’est ma faute s’il est mort. » À Alexandrie, dans une bien étrange Académie, il accédera au Rêve. Toute fantasmagorie alors disparaîtra. La seule magie sera désormais celle des mots, presque des mots tus, voire du silence des mots, suscités comme un au-delà à la froideur, au puritanisme, à un mysticisme stérile et déshumanisé. Plus d’envol, la plume de Tunström soulignera désormais les creux, fera flamboyer le vide, l’absence de salut. Elle tournoiera autour des êtres, accentuera leur humanité, mais aussi leur impuissance à se surpasser.
Changement de décor et retour en arrière, une vingtaine d’années plus tôt, dans la ville de Sunne (ville des origines de Tunström et théâtre de la plupart de ses aventures) où à l’instar du sel ou du plomb, le protestantisme a figé toute vie. Les êtres apparaissent nus, incroyablement seuls face à eux-mêmes, leur communauté et Dieu, alors que fascisme et guerre frappent à leur porte. Le père de Jacob s’installe comme pasteur en compagnie de sa femme enceinte. Ils doivent faire face à l’égoïsme des uns, la cupidité des autres. Au milieu de ces êtres revêches, quelques voix s’élèvent, celles de marginaux, alcooliques, idéalistes, cultivés. Le pasteur crée avec eux une Société de géographie dont l’idéal est l’effacement des frontières, l’avènement d’une fraternité humaine. Mais ce groupe, malgré son humanisme, sa générosité s’isolera aussi de ses proches. La femme du pasteur, délaissée, sombrera dans la folie.
C’est dans cette folie et la problématique autour du langage qu’elle génère que se situe le noeud le plus prégnant de l’ouvrage, étonnamment en phase avec notre situation actuelle. Écrivain lyrique, mais lucide Tunström ira jusqu’à dénoncer la vétusté des mots, leur impuissance à dire le réel, leur trahison, leur sclérose, la langue de bois. Paula fuit la parole ritualisée, convenue de son mari, comme si cette parole avait perdu à la fois son corps et son âme. « Il ne s’agit pas d’hypocrisie comme tu sembles le croire, quand mes collègues ou moi-même parlons de l’importance du salut, par exemple : c’est le vécu d’une nécessité, d’un langage, surtout d’un langage, je crois, que nous avons côtoyé durant de nombreuses années, et dans lequel on se trouve englués. Voilà pourquoi il faut connaître beaucoup d’autres langages. Tu dors ? » Elle va alors s’installer dans la démence en déstructurant la langue et par là refuser le lien social froid, artificiel qu’on lui propose. « On ne peut pas dire simplement ça. MALADE et c’est tout ! Qu’on était un mot. Alors qu’il fallait plutôt sectionner le mot en morceaux de plus en plus petits, le hacher comme des épinards. Elle rit. Fort. S’enfonça à nouveau dans son hachis et, quand elle eut haché tous les mots qui dissimulaient le monde, celui-ci se tenait là, dur et froid et nu, et elle fut saisie de haine envers les choses et les objets qui pouvaient hacher… »
La finesse, la justesse de la description de cette folie féminine surprend de la part d’un écrivain mâle. Les Saints géographes laissent dans la tête du lecteur comme un noyau calciné, noir, dur. Noyau de vies qui auraient mal brûlé ou brûlé si loin de la vie. L’écriture de Tünstrom présente un flamboiement crépusculaire singulier dans lequel s’entremêlent intensité du lyrisme et absolutisme du doute, proche de celui d’Ingmar Bergman, en plus humain toutefois.
Les Saints géographes furent publié en Suède en 1973. Göran Tunström est l’auteur de pièces de théâtre, poèmes, romans (dont une dizaine traduits en français). Il fit ses débuts littéraires en 1956 par un recueil de poésie, connut le succès en 1983 avec L’Oratorio de Noël (Actes Sud, 1986) son oeuvre majeure dans laquelle il évoque le drame de Solveig, soprano, renversée par un troupeau de vaches, qui ne pourra chanter le soir de Noël. Il est aussi l’auteur du Buveur de Lune (Actes Sud, 1997, cf. MdA No21), roman cocasse et épicé dans lequel il décrit les prémices d’un conflit franco-islandais consécutif au shoot d’un ballon de foot dans les vitres de l’ambassade de France. Le Livre d’or des gens de Sunne (Actes Sud 1999, cf. MdA No28) conte les tribulations d’un épicier écrivant la vie de ses contemporains, il y décrit des âmes titubant au-dessus d’un précipice.
Göran Tunström fait partie de cette génération d’écrivains suédois (Per-Olaf Sundmann, Per Gunnar Evander, Torgny Lindgren, Carl-Henning Wijmark) qui dans les années quatre-vingt instaurèrent plus de force, plus d’attention à l’écriture, retrouvèrent la nudité de l’être et de l’âme humaine, privilégiant l’individu par rapport au groupe et aux pesanteurs idéologiques.

Les Saints géographes
Göran Tunström
Traduit du suédois par Marc
de Gouvenain et Lena Grumbach
Actes Sud
314 pages, 22,90 euros

Sans planche de salut Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.