Étonnamment indifférente à son sort, une jeune fille attend que deux hommes prennent soin d’elle. Malgré les multiples cicatrices qui entaillent son corps, elle ne ressent aucune douleur. Elle perçoit en revanche le moindre chuchotement, les odeurs, une certaine gêne lorsque les instruments de ses bouchers charcutent ses entrailles. Mieko est morte. Ses parents ont vendu sa dépouille à un institut médical. Avec détachement, l’adolescente décrit minutieusement les interventions des légistes.
Akira Yoshimura, déjà adapté au cinéma avec L’Anguille de Shohei Imamura, crée ici un univers visuel et sensoriel détaillé à l’extrême, utilisant le regard de son personnage à la manière d’un objectif de caméra. Comme dans Le Sourire des pierres, qui suit ce premier récit, il intègre la mort dans sa narration même. La Grande Faucheuse devient sous sa plume un élément moteur de l’histoire, créateur de l’intrigue, tout sauf un point final conventionnel et stérile. Yoshimura y mêle érotisme et spiritualité, achevant par ce triptyque inhabituel de faire vaciller les conceptions de l’homme occidental sur l’au-delà.
Mieko, prisonnière de sa solitude, entame en effet un dialogue à sens unique avec ceux qui l’approchent, mêlant sensualité et froide réalité : « Le mal rasé caressait la protubérance de ma poitrine tout en détaillant mon corps (…). Alors, qu’est-ce qu’on prend ? dit le grand en disposant des instruments de dissection sur une table en bois ». Pur esprit, la jeune fille n’existe qu’à travers ses interrogations, sans cesse renouvelées faute d’une oreille attentive pour l’écouter. Yoshimura propose au lecteur de prendre à son compte cette fonction inoccupée. Il le charge du fardeau que porte Mieko, oubliée de tous. L’écrivain adresse ainsi un message à tous les vivants : du respect des défunts dépend le destin des disparus dans l’autre monde. Les morts ne sont pas faits pour l’oubli.
La Jeune Fille suppliciée
sur une étagère
Akira Yoshimura
Traduit du japonais
par Rose-Marie Makino-Fayolle
Actes Sud
142 pages, 13,60 €
Domaine étranger Douce mort
janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42
| par
Franck Mannoni
Un livre
Douce mort
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°42
, janvier 2003.