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Zoom Antigone créole

mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43 | par Dominique Aussenac

Enquêtant sur la vie d’une poétesse, José Eduardo Agualusa décrit les espoirs et les rêves brisés de l’Angola, pays en guerre civile depuis près de trente ans. Un drame luxuriant, ironique et pathétique.

Des témoignages sur la vie de Lidia do Carmo Ferreira, poétesse, historienne, disparue mystérieusement en 1992 à Luanda, le romancier José Eduardo Agualusa en reçoit encore et toujours, sept ans après la publication de son livre. En Angola surtout, en Afrique lusophone, au Portugal et même au Brésil, de nombreuses personnes affirment avoir croisé la route de la femme de lettres. Certains prétendent même lui avoir tiré les cartes. Le seul petit problème : cette dernière n’a jamais vraiment existé, du moins physiquement. Les poèmes, les extraits d’interviews, les lettres de Lidia do Carmo Ferreira illustrant ce roman ne sont que le fruit de l’imagination d’Agualusa. Son narrateur, journaliste, la dépeint comme une icône, une figure de proue de l’indépendance, une égérie, la grande sœur d’une jeunesse angolaise assoiffée d’idéaux. Pour cela, il recompose le puzzle d’une vie où chaque morceau brûle de lucidité, de sensibilité, d’une poésie grave, fervente, tenace. « Je ne sais plus ce que j’ai été ni qui je suis. Je ne sais plus quelle partie de moi-même est non pas la vie, mais ce que j’ai lu de la vie dans les livres. » (Lidia Ferreira, extrait d’une lettre à Mario de Andrade, écrite à Lisbonne le 30 avril 1981).
De Luanda à Lisbonne, de Lisbonne à Berlin, de Berlin au Brésil, puis retour vers le pays natal, Lidia vit toujours au rythme de sa patrie. Elle fréquente les milieux intellectuels, politiques, artistiques. Participe aux débats d’idées, délaisse l’exaltation de la négritude, défend la créolité. (« Au fond, dit-elle, c’est qu’en vérité je ne m’identifie pas avec la négritude. Je la comprends, je suis solidaire des Noirs du monde entier, j’aime beaucoup les poèmes de Senghor et les nouvelles de Diop, mais je sens que notre univers est autre. Toi comme moi et Viriato da Cruz, nous appartenons à une autre Afrique, à celle qui vit aux Antilles, au Brésil, au Cap-Vert ou à Sao Tomé, un mélange de l’Afrique profonde et de la vieille Europe coloniale. » Agualusa, dans un rapport très érudit, très vivant qui témoigne du bouillonnement culturel des années soixante, lui invente des amitiés, des correspondances avec les personnalités les plus en vue, notamment Amilcar Cabral, Viriato da Cruz, Mario de Andrade -le premier amena la Guinée-Bissau et le Cap-Vert à l’indépendance, les seconds constituèrent le Mouvement pour la libération de l’Angola.
Si dans un premier temps, le narrateur a une relation d’investigation assez distante mais plutôt emphatique à son sujet, fasciné, il pénètre peu à peu les cercles de son intimité, partageant la même lutte, la même prison, sans la voir, sans l’entendre, si ce n’est à travers les commentaires des bourreaux. Lorsqu’enfin, il peut l’approcher, Lidia, à l’instar d’une bulle éclate et disparaît définitivement. Tour à tour, la poétesse aura incarné le désir, l’attachement, la terre, la liberté, l’exil, l’enfance, le désenchantement, la vieillesse et la mort. Un cycle de vie riche, contrasté, violent en symbiose totale avec l’histoire du pays où émergent deux périodes : avant l’indépendance -époque répressive mais porteuse d’espoir de changement, d’enthousiasme, de jeunesse, de vins de vigueur- et les guerres civiles qui ont suivi et leurs cortèges d’horreurs.
L’Angola aux yeux d’Agualusa (dont c’est ici la première traduction), même dans la ruine, la déchéance, le carnage généralisé paraît toujours porteur d’énormes potentialités, de luxuriance, d’une culture commune, forte. Il est vrai que ce pays fut, sous la colonisation portugaise, une contrée prospère où se constitua une bourgeoisie créole commerçante et cultivée qui plaça tous ses espoirs dans l’indépendance. Celle-ci adviendra en 1975 après la Révolution des œillets au Portugal, et transformera le pays en laboratoire idéologique, où ne cesseront de « s’écraser » dans un monstrueux carambolage de sigles (UNITA, MPLA, FAPLA, SWAPO…) patriotes angolais, alliés cubains, russes, pro-chinois, légions afrikaners. À noter que la guerre civile y est toujours d’actualité. « Ici il y a plus d’armes que de gens à tuer ! » Craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, Agualusa né à Huambo en 1960 a finalement quitté le pays ; journaliste, correspondant à l’étranger de journaux portugais, il publiera son premier ouvrage A Conjura en 1989. Suivront d’autres romans, des recueils de nouvelles.
Constitué de chapitres courts, incisifs, La Saison des fous présente en alternance des portraits ainsi que des écrits de la poétesse, et fourmille de personnages tirés de l’histoire de la colonisation angolaise ou issus des propres aventures du narrateur. La beauté, la violence des images, le rapport flamboyant et anodin à la mort, proche du réalisme magique (beaucoup de disparus ressuscitent dans des conditions picaresques) saisissent. Ici, les tortionnaires peuvent se révéler de bons bougres. Les bons bougres, d’horribles tortionnaires. À la question « L’enfance est la période de la méchanceté. La phrase est de vous. Que signifie-t-elle ? » Lidia Ferreira répond : « La méchanceté des hommes, au fond, est peut-être l’expression de leur innocence. Voilà pourquoi j’ai l’habitude de dire que seuls les innocents sont coupables. » Les registres de langue, poésies, discours révolutionnaires, articles de journaux, parlers de la rue, dialectes, les rapports à l’écriture, à l’oralité (contes merveilleux), la gravité et l’humour, l’ironie jusqu’au sarcasme se succèdent indépendamment, tout en paraissant in fine s’interpénétrer, offrant non pas une cacophonie, mais une sorte d’opéra intensément vivant, chamarré. Un grand écrivain, écrivain de l’identité, de la créolité, est né, il est angolais.

La Saison des fous
José Eduardo Agualusa
Traduit du portugais (Angola)
par Michel Laban
Gallimard
272 pages, 18,50

Antigone créole Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°43 , mars 2003.
LMDA papier n°43
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