Au commencement, le récit effleure le roman d’aventures classique mais la traversée jusqu’à Terre-Neuve d’un équipage de marins basques n’est qu’anecdotique. Le roman s’articule autour d’une poignée de personnages, ce qui motive leurs désirs et les moyens qu’ils emploient pour les réaliser. Des portraits sans concession qu’il s’agisse de Joanes, le capitaine et Matush, son second ou du jeune mousse orphelin de quinze ans nommé Urkizu et les Inuits. Entre eux, tout est question de langage mais leur intérêt pour la parole n’est pas le même. Les premiers proposent à l’adolescent de rester seul chez les Inuits pendant deux longs mois pour apprendre leur langue en vue de développer leurs échanges commerciaux. Pour Urkizu, c’est l’espoir d’une nouvelle vie. Une expérience qu’il prolongera de six mois. Quant aux Inuits, ils trouvent là un moyen de satisfaire un plaisir « qui les rend fous », fumer le tabac donné en échange de l’hébergement d’Urkizu.
Tout au long du récit, le jeune mousse semble évoluer dans un espace-temps irréel. Dans la blancheur virginale alentour, à la lisière du monde, tout est possible. Le meilleur, lorsque les rires et les sourires précèdent les mots, puis les premiers balbutiements et l’émerveillement lorsque Urkizu et le jeune Kalaut se comprennent enfin. Le pire, lorsque l’échange verbal ne suffit plus et que les codes culturels s’opposent. L’étau se resserre dans le silence implacable de l’igloo blanc tel un linceul. C’est la solitude extrême dans le temps immobile. L’isolement et le mutisme forcé d’Urkizu confère une sensation d’étouffement en même temps qu’une activité de réflexion intense qui le sauvera de la mort cannibale. La narration distanciée et l’écriture épurée permettent une approche au plus près des émotions et des sensations. L’apparente simplicité narrative porte la force symbolique du récit.
Urkizu
Bernardo Atxaga
Traduit de l’espagnol par André Gabastou
La Joie de Lire
(2bis, rue Saint-Léger 1205 Genève)
110 pages, 10 €
Jeunesse À la lisière du monde
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Malika Debaa
À la lisière du monde
Par
Malika Debaa
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.