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Poésie L’homme à rien faire

mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44 | par Emmanuel Laugier

Interné à perpétuité, un homme écrit de bien étranges lettres. Ou comment terminer sa vie par le souvenir de poussins rôtis. Un désopilant récit de Vincent Wackenheim.

La Perte d’une chance, deuxième livre de Vincent Wackenheim, propose 89 lettres -fictives, nous précise son auteur- d’un certain Maximilien Schnug. L’affaire pourrait s’arrêter là et ouvrir, pour ce bref récit épistolaire, tous les possibles. Mais La Perte d’une chance, comme d’ailleurs le Voyage en Allemagne (Deyrolle/Verdier, 1996), où se tissait déjà, sur le fond d’une relation entre un traducteur et un écrivain, les rapports complexes de la filiation et de la paternité, a un arrière-fond assez intrigant pour être, par l’auteur lui-même, relevé en une note finale de quelques pages : Maximilien Schnug (1850-1919) a, en effet, réellement existé, d’autant plus existé que son fils, Léo, fut l’un des peintres rhénans les plus admirés par le Kaiser pour ses fresques militaires. De cet entrecroisement de faits, avérés et imaginaires, La Perte d’une chance fabrique un étonnant mélange : d’où il s’ensuivra que les propos quotidiens de Maximilien sont farcis de remarques déplacées, voire incongrues ; que l’ensemble se révèle d’une ironie burlesque ravageuse. On y rit, comme chez Thomas Bernhard ou Robert Walser, parce que, par exemple, le régime marital qui unit encore Maximilien à son épouse Marguerite est maladivement sacralisé (« as-tu changé nos meubles de place », « qu’as-tu fait de mes vêtements ? »), ou indifférent, l’autorité médicale ridiculisée, l’ordre et le pouvoir subtilement caricaturés, sans compter sur le nain Félix, un bon blagueur avec son rat mort lancé à la tête des infirmiers, sur le cousin, aussi nain que Félix, qui est, lui, pathétiquement lancé en l’air par de bons pères de famille sur un tas de foin. On appelle ça le lancer de nains.
Comme le maître Walser dans L’Homme à tout faire, le ton neutre, presque impassible, de ces lettres sarcastiques, dérisoires, est pourtant teinté d’une certaine naïveté. C’est ce qui fait qu’elles touchent, émeuvent, et glacent à la fois, entre affects et distanciation. Toutes commencées par un « Ma chère Marguerite », voilà comment l’une d’entre elles se poursuit : « Stephan, à qui je parle de notre fille Bertha, affirme que depuis le temps son pauvre petit corps a sûrement été sorti de terre, ses os ont été broyés, et dispersés sans soin sur le sol, à ces moments-là ses yeux brillent, d’une lumière curieusement vulgaire ». Ou encore, plus loin, Maximilien lui fait le récit d’une pensée concernant les cochons que l’on tue dans les fermes de l’oncle : « Souvent je rêve que tu étais nue à la place du cochon ce jour-là, les hommes et ton frère te poursuivaient en riant, avec à la main des bâtons dont ils se servaient pour te piquer assez méchamment (…). Toi tu couinais de façon aussi ridicule que le cochon (…) ». On manquerait l’une des proses les plus fortes de ce début d’année à refuser de se confronter à cette cruauté joyeuse. Mais le livre de Vincent Wackenheim ne se résume pourtant pas à cette simple habileté-là. Ce serait le réduire. Quelques pages, de l’auteur lui-même, en précisent en effet l’histoire souterraine ; des informations sont données au sujet du personnage réel que fut Maximilien Schnug : qu’il quitte son Allemagne natale pour s’installer à Strasbourg dans une Alsace fraîchement allemande et y épouser Marguerite Lobstein. Que ses délires exubérants le conduisent à être enfermé dans un hôpital psychiatrique, les trente-neuf dernières années de sa vie précisément. Que son fils, Léo, l’y rejoindra sans que, étrangement, ils ne s’y croisent. Tout concourt à confirmer l’expression : tel père, tel fils.
Pourtant ce rapport de dyade se complexifie ici lorsque l’on apprend qu’Auguste Wackenheim, le père supposé de Vincent, a consacré une biographie, publiée en 1971, au peintre Léo. Ainsi, entre l’évidence des lettres que Maximilien adresse à son épouse, au sujet d’un rat, d’un nain et de leur fils Léo, et tout le soubassement préalable à l’écriture de ces lettres par leur auteur (Vincent), il y a une question posée, par un écrivain, à l’idée d’être à la fois le père et le fils. Question généalogique que ce livre a la superbe audace de poser sans démonstration, juste par le détour d’une correspondance désopilante, jusqu’à moquer la question elle-même.

La Perte d’une chance
Vincent Wackenheim
Le Temps qu’il fait
94 pages, 14

L’homme à rien faire Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°44 , mai 2003.
LMDA PDF n°44
4,00