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Poésie Les âmes vivantes

juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45 | par Emmanuel Laugier

Anti-symbolistes exaltés, ils ont payé au prix fort leur audace. De Khlebnikov à Goumilev, Serge Fauchereau offre un revigorant panorama de l’avant-garde russe.

L' Avant-garde russe (futuriste et acméistes)

Nous n’avons pas appris à parler, mais à balbutier, et ce n’est qu’en écoutant le bruit croissant du temps, et blanchis par l’écume de sa crête, que nous avons trouvé l’usage de notre langue » : cette phrase bouleversante qu’Ossip Mandelstam, l’un des plus fidèles amis de Goumilev, énonça dans Le Bruit du temps en 1925, nul doute que l’on pourrait l’appliquer à l’ensemble des poètes de l’avant-garde russe que présente ici Serge Fauchereau. D’une part parce que chacun de ces poètes, c’est-à-dire Vélimir Khlebnikov, Alexis Kroutchenykh, Elena Gouro, Vassili Kamenski, Vladimir Maïakovski, Nicolas Goumilev, Ossip Mandelstam et Anna Akhmatova écrivit contre les mémoires domestiques, contre les manies installées de l’écriture. D’autre part parce que chacun dut faire face au travers des désillusions et des persécutions du régime de la Russie d’alors, à ce que Mandelstam appelle encore « un buisson creux, un fossé rempli de temps bruyant ». Ils ne disposèrent, en somme, que d’un « signe béant », ce fut leur héritage, le seul par lequel s’inventerait « un sens plus pur à donner aux mots de la tribu », selon l’expression de Mallarmé. L’enjeu était de porter l’écriture à hauteur de l’homme, que cet acte résume tout leur être. « Signe béant » jeté, finalement, à la gueule de toute moustache cafardeuse, de toute botte brillant l’arbitraire absolu, quand bien même le futurisme s’engagea avec ferveur dans la Révolution bolchevique. Cependant, pour ces poètes-là, il n’y eut de parole possible que réfractaire : Maïakovski, dans Frères écrivains, le dit nettement : « Je crois bien que je ne m’habituerai jamais/ à rester assis au ’Bristol’,/ à buvoter du thé,/ à mentir en vers ;/ je renverserai les verres,/ je grimperai sur la table ».
Deux moments, pas vraiment séparables, sont dans ce volume entrecroisés : celui de l’émergence de la rage futuriste, avec Maïakovski, Kroutchenykh, Khlebnikov, Gouro et Kamenski ; celui de l’éveil de l’acméisme, avec Goumilev, Mandelstam, Akhmatova (et Gorodetski, le seul absent de cette anthologie). Les conditions de leur essor sont d’abord liées à la peinture (les années 1907-1908) : fort penchant primitiviste, grossièreté du trait, faute de goût, etc. sont ses caractéristiques les plus radicales. Mais l’événement qui donnera l’impulsion au futurisme russe viendra de la publication à Saint-Pétersbourg, en 1910, d’un almanach titré assez elliptiquement Le Vivier des juges. Vélimir Khlebnikov, Elena Gouro et Vasili Kamenski et les frères (peintres et poètes) Bourliouk en sont les initiateurs. Bien vite s’y agrègent Maïakovski et Kroutchenykh. Le groupe est alors vraiment formé. Il ne lancera pourtant sa bombe à la face de la société qu’en 1912 : il s’agit de la Gifle au goût public. Comme le rappelle Serge Fauchereau (sa préface de plus de 45 pages ne se moque de personne), le ton a l’insolence de la jeunesse (parodie du peintre Malevitch en blouse jaune, lecture performance où l’on arrose le public de thé) : « Nous seuls sommes le visage de notre temps » clame le manifeste.
Les positions acméistes, déjà connues grâce à Goumilev et Gorodetski, sont visées aussi par ce mot d’ordre, bien que les deux mouvements soient nés ensemble d’un rejet des vieilles lunes symbolistes. Le futurisme aura voulu, en fait, avoir le dernier mot face aux attaques ironiques de Goumilev. Leurs réponses se feront au travers de remises en question formelles radicales, alliant les ressorts sonores de la langue et l’espace de jeu des mises en page. S’ils reprochaient aux acméistes leur timidité et un certain classicisme culturel, ces derniers, eux, démontraient les petits jeux de mot à deux kopecks, le ridicule de leur déni du sens, de leur mépris des livres et de la lecture. La patience acméiste s’appuyait en fait davantage sur l’idée d’un langage résonnant avec la présence physique du monde quand, le futurisme, lui, selon le mot de Kroutchenykh, se devait, à coup de machette rapide, toucher l’assaut électrique d’une langue transmentale, le fameux zaoum dont Khlebnikov aiguisera ses fers poétiques. À l’économie et la clarté d’un Flaubert, les acméistes ajouteront aussi la netteté de la mesure, faisant du langage le pic du carrier ou le burin du tailleur de pierre, ainsi qu’une relation neuve, au moins pour Mandelstam, aux berceaux grec et égyptien, ou encore à l’Arménie. Rien de métaphysique chez eux, ou de mystique, comme c’est le cas chez Khlebnikov, mais une confrontation à l’urgence de vivre ici et maintenant.
Cette anthologie démontre néanmoins, après un saut de plus de vingt ans (puisqu’elle fut publiée à l’occasion de l’exposition « Paris-Moscou » en 1979), que les oppositions du moment entre futurisme et acméisme, si elles furent bien réelles, sont parfois toutes relatives. L’un des exemples le plus significatif est celui d’Elena Gouro (morte à trente-cinq ans) qui, assimilée au futurisme, y échappe pourtant singulièrement. Son œuvre est résolument fragmentaire, composée de poèmes brefs, où se refuse la séparation du vers et de la prose. Elle invente ainsi un rythme prosodique parfois proche de celui de Gertrude Stein, notamment dans Finlande : « C’est cela ? ou bien quoi ?/Les aiguilles bruisent, bruisent/ Anne, Lise, Marie non ?/C’est cela ? Un lac, donc ».
L’œuvre de Goumilev, longtemps interdite en Union soviétique (il est jugé « contre-révolutionnaire et décadent » durant l’ère Brejnev), fut lors de la libération sous Gorbatchev, puis après la chute du régime communiste, citée à tout bout de champ, souvent en vagues aphorismes scandés. Revanche du sort brutale dont Serge Fauchereau sourit un peu tant elle créa de malentendus. Ce choix de poèmes permet au contraire, patiemment, de prendre la mesure de son apport. Voyageur assez proche de Michaux, pour avoir mêlé dans ses poèmes moments de rêves et géographies exactes de terres reculées, Goumilev tenta, par l’acméisme, de faire une synthèse entre Théophile Gautier, Shakespeare, Villon, Rabelais. Le Tramway perdu, traversée mentale d’un rêve éveillé à travers la ville moderne, est à cet égard son poème le plus achevé. Accusé de complot, il est fusillé en 1921 sous l’ordre de Lénine. On rapporte qu’il fut hautain face à ses juges : « où acheter/ Un billet pour l’Inde de l’esprit ? » aurait pu être sa dernière question.

L’Avant-garde russe
(futuristes et acméistes)

SERGE FAUCHEREAU
Traduit par Serge Fauchereau
et Nathalie Meneau
220 pages, 20
PoÈmes
Nicolas Goumilev
Traduit par Serge Fauchereau
Les Éditions du Murmure
(9, allée des Marronniers
21800 Neuilly-lès-Dijon)
110 pages, 13

Les âmes vivantes Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°45 , juillet 2003.
LMDA PDF n°45
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