Vega, de retour au pays pour l’enterrement de sa mère, retrouve son vieil ami Moya dans un bar. Moya retranscrit à notre intention le monologue dans lequel Vega, exilé au Canada depuis vingt-cinq ans, vomit le dégoût que lui inspire le Salvador. Il rumine, rabâche, sans relâche, en boucles, son ressentiment, pétri par ses obsessions, la stupidité sans bornes de ce peuple, la bêtise et la vulgarité de son frère (qui nous vaut la description assez cocasse d’une virée « pour tirer un coup », qui s’achève par une « intense crise d’angoisse » hystérique de Vega), adepte de la « bière diarrhéique » nationale.
Thomas Bernhard à San Salvador c’est le sous-titre de ce court roman : « parce que je ne t’ai pas raconté, Moya, je n’ai pas seulement changé de nationalité mais également de nom, me dit Vega. (…) Là-bas, je ne m’appelle pas Edgardo Vega, un nom vraiment trop horrible. (…) Mon nom est Thomas Bernhard, me dit Vega. » Avec ce texte, dense, intense, vraiment drôle, en forme de pastiche de l’écrivain autrichien (on pense à Extinction), Horacio Moya atteint l’incandescence. La fin illumine à rebours tout le roman, et en éclaire la construction, intelligente et espiègle, qui oscille entre l’acidité, extrême, folle, de Vega et l’humour, sous-jacent, du narrateur (Moya, ne l’oublions pas) présent en filigrane dans le compte-rendu, nécessairement sélectif et distancié. Cette subtile mise en abyme transforme ce monologue en un portrait, hilarant et caricatural, de Vega.
Le Dégoût de Horacio Castellanos Moya
Traduit de l’espagnol (Salvador) par Robert Amutio - Les Allusifs - 98 pages, 14 €
Domaine étranger La machine à rire
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Bertrand Serra
Un livre
La machine à rire
Par
Bertrand Serra
Le Matricule des Anges n°46
, septembre 2003.